(Venise) La documentariste américaine Laura Poitras a obtenu à Venise le Lion d’or du meilleur film, grâce à son portrait de l’artiste et militante new-yorkaise Nan Goldin dans All the Beauty and the Bloodshed. Saint Omer, d’Alice Diop, The Banshees of Inisherin, de Martin McDonagh, et Bones and All, de Luca Guadagnino, font aussi très belle figure en remportant deux prix chacun.

Dans l’histoire des grands festivals internationaux, on peut compter sur les doigts d’une main les longs métrages documentaires ayant obtenu les plus grands honneurs. On peut aussi compter sur les doigts de l’autre main les réalisatrices ayant touché aux plus beaux lauriers. Le nom de Laura Poitras s’ajoute maintenant à une liste qui, Dieu merci, commence enfin à s’allonger un peu. Grâce à All the Beauty and the Bloodshed, cette dernière est en effet la troisième réalisatrice primée à Venise en autant d’éditions (Chloé Zhao en 2020 avec Nomadland, Audrey Diwan en 2021 avec L’événement).

Le jury, présidé par Julianne Moore, a ainsi choisi d’attribuer la plus haute distinction au seul documentaire en lice pour le Lion d’or. Pour point de départ, le film fait écho à l’action récente qu’a prise l’artiste et militante Nan Goldin pour dénoncer la société Purdue Pharma. Propriété de la famille Sackler, l’on doit à cette société, très impliquée dans le monde de l’art, la production du médicament OxyContin à grande échelle, malgré le caractère très addictif de cet antidouleur. En retraçant la vie et la carrière de l’artiste, qui a vécu sa jeunesse dans les années 1960 et 1970, Laura Poitras établit aussi un parallèle entre les combats d’aujourd’hui et ceux d’hier, l’action de Nan Goldin étant fortement inspirée par celle du mouvement Act Up en pleine crise du sida il y a plus de 30 ans.

« J’ai rencontré pas mal de gens courageux dans ma vie, mais jamais autant que Nan, a déclaré Laura Poitras, émue, sur la scène de la Sala Grande. Non seulement elle a combattu avec acharnement une grande société comme Purdue Pharma, mais elle n’a pas hésité non plus à creuser en elle-même pour raconter tous les aspects de sa vie. »

PHOTO FOURNIE PAR LA MOSTRA DE VENISE

Nan Goldin est l’artiste et militante auquel Laura Poitras consacre son film All the Beauty and the Bloodshed.

Le message à caractère social d’All the Beauty and the Bloodshed, et la manière qu’emprunte la cinéaste pour le faire valoir, ont touché les membres du jury.

« Laura a magnifiquement raconté l’histoire de cette femme qui a fait de l’art en s’inspirant de sa marginalisation, a précisé Julianne Moore en conférence de presse. Et qui a ensuite utilisé cet art dans son militantisme. »

Des films doublement primés

Deux autres longs métrages se sont particulièrement distingués. En plus du Grand prix du jury, Saint Omer, d’Alice Diop, a valu à la réalisatrice française le prix du meilleur premier film. Ayant déjà fait sa marque dans le domaine du documentaire, notamment grâce à Nous, Alice Diop a mis à profit son expertise dans ce premier long métrage de fiction. En s’inspirant d’une histoire d’infanticide ayant fait les manchettes en France il y a quelques années, la cinéaste propose un drame à la fois sobre et puissant, qui confronte le spectateur à ses certitudes.

« Quand un documentaire gagne un prix dans un grand festival, tous les documentaristes s’en réjouissent, a commenté Alice Diop en conférence de presse en exprimant son admiration pour Laura Poitras. Ça indique que le documentaire fait partie du cinéma, autant que la fiction. »

The Banshees of Inisherin, l’un des favoris des festivaliers, a de son côté obtenu le prix du meilleur scénario, remis à Martin McDonagh (qui signe aussi la réalisation). Il a également valu à Colin Farrell la Coupe Volpi du meilleur acteur, dans une catégorie où les bons candidats étaient nombreux. Retenu à Los Angeles, l’acteur a néanmoins pu s’adresser au public en direct.

« Quelle semaine on a passé à Venise !, a-t-il dit. C’est la deuxième fois que je travaille avec Martin [McDonagh] et je crois que je vais le remercier pour le reste de mes jours ! »

Bones and All, grand favori de la presse italienne, a par ailleurs été primé deux fois. Le prix de la mise en scène a été remis au réalisateur de cette romance cannibale, Luca Guadagnino, et le prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune interprète a été attribué à l’actrice canadienne Taylor Russell.

Six films primés sur 23

La Coupe Volpi de la meilleure actrice a été décernée à une autre grande vedette. Cate Blanchett, virtuose dans le rôle d’une cheffe d’orchestre dans TÁR, est revenue à Venise pour cueillir son trophée après avoir fait un détour par le festival de Telluride, au Colorado. Saluant d’abord la direction du festival pour une sélection riche en diversité, l’actrice a tenu à rendre hommage à Todd Field.

PHOTO GUGLIELMO MANGIAPANE, REUTERS

L’actrice Cate Blanchett reçoit le prix Coppa Volpi de la meilleure actrice.

« Aucun acteur ne peut recevoir un prix semblable sans l’apport d’un bon scénario et d’un excellent metteur en scène. Cet honneur appartient à Todd Field. Je tiens aussi à remercier l’orchestre de Dresde, et aussi tous ceux qui font de la musique partout dans le monde en mettant leur ego de côté pour se mettre au service de la beauté ».

Une ovation a par ailleurs été réservée à Jafar Panahi, emprisonné en Iran, à l’annonce d’un prix spécial du jury accordé à No Bears, son plus récent long métrage. Le cinéaste se met lui-même en scène dans cette œuvre à la tonalité plus grave, tournée clandestinement.

« On se tient debout pour la puissance du cinéma », a dit sobrement Mina Kavani, l’actrice franco-iranienne qui, avec Reza Heydari, qui tient aussi un rôle dans No Bears, est montée sur scène au nom du cinéaste.

Ayant l’embarras du choix (« Il a fallu s’entendre sur les films dont nous voulions discuter », a confié Julianne Moore), le jury a finalement décidé de primer seulement 6 des 23 longs métrages en lice pour le Lion d’or. Des productions comme Blonde (Andrew Dominik), Athena (Romain Gavras), The Whale (Darren Aronofsky), The Son (Florian Zeller), Bardo (or False Chronicle of a Handful of Truths) (Alejandro González Iñárritu) et quelques autres, toutes des propositions de cinéma très fortes, auraient sans doute pu prétendre aussi à certains honneurs. Mais cela fait partie du jeu.

Grâce à ce prix très prestigieux, All the Beauty and the Bloodshed, qui sera distribué au Québec par Entract Films (la date de sortie n’est pas encore fixée), aura maintenant droit à une visibilité accrue, chose quand même assez rare pour un long métrage documentaire. Tant mieux.