En portant à l’écran la pièce de Samuel D. Hunter intitulée The Whale, Darren Aronofsky a brillamment relevé son pari de transposition. Les rumeurs de prix circulent déjà autour de la performance poignante de Brendan Fraser, mais l’acteur préfère prendre les choses un jour à la fois…

Jusqu’à maintenant, la compétition se révèle vraiment de bonne tenue et nul ne pourrait deviner ce qui guidera le jury présidé par Julianne Moore pour établir le palmarès samedi prochain. Mais le fait est que sur le simple plan épidermique, aucun candidat au Lion d’or n’a suscité autant d’émotion que The Whale. Habitué de la Mostra, lauréat du Lion d’or en 2008 grâce à The Wrestler, Darren Aronofsky pourrait bien répéter l’exploit cette année. Son nouveau film constitue une grande réussite.

Outre les performances des acteurs, dont celle, exceptionnelle, de Brendan Fraser (« Donnez-lui l’Oscar tout de suite ! », pouvait-on lire sur les réseaux sociaux), l’exploit réside surtout dans cette façon qu’a eue Aronofsky, appuyé par son complice de toujours Matthew Libatique à la direction photo, de faire un objet cinématographique d’une pièce éminemment théâtrale au départ. Bien que l’origine théâtrale reste évidente dans la construction dramatique du scénario, et bien qu’il n’y ait qu’un seul décor, The Whale est une véritable proposition de cinéma.

Un écran carré

Il y a d’abord le cadre. Carré. Comme pour délimiter l’espace restreint dans lequel le protagoniste doit évoluer, sans même pouvoir sortir de chez lui. Ce cadre évoque aussi ce sentiment d’étouffement que doit ressentir un homme atteint d’obésité morbide, dont la mobilité est réduite, prisonnier d’un corps trop lourd.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Brendan Fraser est la tête d’affiche de The Whale, un film de Darren Aronofsky.

Professeur d’anglais et féru de littérature (l’un de ses récits favoris est Moby Dick, auquel le titre du film fait référence), Charlie (Fraser) donne ses cours virtuellement à des étudiants qui ne le voient jamais. Dans sa vie, seulement quatre personnes font partie de son entourage : sa meilleure amie, infirmière et aussi proche aidante (Hong Chau), un jeune évangéliste de passage (Ty Simpkins), son ancienne femme (Samantha Morton) et, surtout, Ellie, sa fille de 17 ans (Sadie Sink), qu’il n’a pas vue depuis plusieurs années. Cette dernière a repris contact pour essentiellement régler des comptes.

Le dernier acte du film, au cours duquel le récit atteint une puissance d’émotion peu commune, se déroule d’ailleurs en présence de Charlie et Ellie. À la projection destinée à la presse, on ne notait aucun œil sec à la sortie…

Lors d’une conférence de presse tenue dimanche, Darren Aronofsky a expliqué avoir eu envie de porter The Whale à l’écran en lisant une critique de la pièce, publiée dans le New York Times. « Il m’a cependant fallu attendre 10 ans avant de concrétiser le projet. Principalement parce qu’il était difficile de trouver l’acteur qui pourrait interpréter Charlie. J’ai pensé à tout le monde, à des acteurs de tous types, à de grandes vedettes, mais l’étincelle ne se produisait jamais. Puis, il y a quelques années, je suis tombé sur la bande-annonce d’un film brésilien indépendant dans lequel Brendan jouait et ça a tout de suite allumé. J’ai organisé une lecture entre Brendan et Sadie et les frissons sont apparus dès que ces deux-là se sont mis à jouer ensemble. »

PHOTO MARCO BERTORELLO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Sadie Sink sur le tapis rouge de The Whale, dimanche

Le cinéaste indique aussi qu’en cette époque de cynisme, la vision du monde qu’a Charlie, empreinte d’espoir et d’amour, devient essentielle.

« Voilà le message le plus important à livrer dans le monde d’aujourd’hui, ajoute le cinéaste. Tout le monde verse dans le cynisme et abandonne l’espoir. C’est exactement ce dont nous n’avons pas besoin en ce moment. Il faut plutôt se dire qu’après tout, nous avons besoin de prendre soin les uns des autres. »

Vivre le moment présent

Brendan Fraser, dont les interventions ont été applaudies plusieurs fois lors de la conférence de presse, ne fait de son côté aucun plan de carrière relatif à ce que ce rôle pourrait lui apporter sur le plan de la reconnaissance.

« J’y ai vu une belle occasion de me glisser dans le physique corporel d’un autre homme et l’histoire intérieure qu’il charrie avec lui. Je ne connais aucun acteur parmi mes pairs qui ne voudrait pas travailler avec Darren. »

Quant aux rumeurs de récompenses qui commencent déjà à circuler autour de lui, l’acteur, qui fut une grande vedette hollywoodienne à l’époque de The Mummy et de George of the Jungle, tient à remettre les choses en perspective.

« Ma boule de cristal ne fonctionne pas et je tiens à vivre le moment présent. Mon ambition est de jouer le plus de personnages possible. J’ai surtout hâte de voir si ce film laissera sur les gens une impression aussi forte que sur moi. »