Leur amitié s’exprimait depuis plusieurs années dans la sphère privée, mais un producteur leur a soumis l’idée de s’en inspirer pour un film. Presque est une comédie dramatique dans laquelle l’ancien membre du groupe Les Inconnus et l’écrivain-philosophe se réunissent pour un improbable road movie. Entretien.

Il y a près de 20 ans, Bernard Campan a vu Alexandre Jollien à la télévision. Au cours de cette entrevue, l’écrivain, spécialiste de philosophie, a parlé du regard de l’autre — et de la façon de l’assumer — avec une telle évidence que l’esprit du comédien en fut grandement marqué.

« Je ne connaissais pas Alexandre du tout, mais il m’a tout de suite touché au cœur », explique l’ancien Inconnu au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse, auquel participait également son complice. « J’ai senti une affinité sur le plan humain. Je voyais aussi un homme qui parlait d’une philosophie appliquée en expliquant comment progresser, comment avancer dans la vie en se déchargeant de tout ce qui nous encombre pour aller vers la liberté, la joie. Ça m’a profondément bouleversé. »

Alexandre Jollien se rappelle encore très bien ce jour où, alors qu’il séjournait à Venise, il a reçu un coup de fil inattendu de celui qui, en compagnie de Didier Bourdon et de Pascal Légitimus, était la vedette de la seule émission de télévision qu’il a regardée dans sa jeunesse.

« Bernard et moi avons parlé pendant une heure et demie de choses spirituelles, de la mort, du rapport au corps, de l’acceptation, des thèmes qui lui sont très chers, raconte-t-il. Dans une amitié, surtout au début, il y a souvent des protocoles, du vernis, des rôles qu’on joue, mais là, il y avait comme une nudité immédiate entre nous. Et ça n’a jamais cessé. »

Vivre avec un handicap

On dit d’Alexandre qu’il est né « infirme moteur cérébral ». Son handicap affecte la motricité de son corps et la fluidité de son langage. Dès l’âge de 3 ans, il fut admis dans une institution spécialisée pour en ressortir seulement 17 ans plus tard. À la manière du personnage qu’il joue dans Presque, il s’est vite jeté dans l’étude de la philosophie — il a fait une maîtrise dans le domaine — et a publié quelques ouvrages remarqués, parmi lesquels Éloge de la faiblesse, publié en 1999.

Pendant plusieurs années, cette amitié entre Bernard Campan et lui, nourrie de conversations quasi quotidiennes, relevait de leur vie intime de part et d’autre. Un jour, le producteur Philippe Godeau, avec qui l’acteur avait travaillé quelques fois (notamment pour L’homme de sa vie et Les trois frères, le retour), a suggéré de transposer cette amitié particulière dans une histoire destinée au grand écran.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Alexandre Jollien, dans Presque

« Comme Alexandre a une vie particulièrement atypique, avec, entre autres, une jeunesse vécue dans un institut pour personnes handicapées, nous envisagions peut-être la possibilité d’écrire à deux un drame biographique inspiré de sa vie, relate Bernard Campan. On s’y est mis, mais ça ne fonctionnait pas vraiment. Tout a changé le jour où Alexandre a vu Intouchables ! »

Le beau risque

Après avoir vu le film phénomène du tandem Éric Toledano et Olivier Nakache, dont les têtes d’affiche sont Omar Sy et François Cluzet, Alexandre Jollien a confié à son ami que si jamais un projet de long métrage se concrétisait, il se verrait bien y jouer un rôle.

« Cela a complètement changé la donne », reconnaît Bernard Campan.

Presque est ainsi devenu un road movie où deux hommes n’ayant en apparence aucune affinité apprennent à se connaître — et à s’apprécier — au fil d’un voyage.

L’un est un directeur de pompes funèbres devant transporter une dépouille de Lausanne jusque dans le sud de la France, l’autre est un homme à l’esprit vif, épris de philosophie, dont le corps est handicapé.

« J’ai aimé faire partie d’une grande équipe, moi qui ai plutôt l’habitude de travailler seul ou en très petit comité, confie Alexandre Jollien. Il a fallu accepter d’être dirigé, cela dit, moi dont la vie est de toujours tendre vers plus de liberté. »

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Une scène tirée de Presque

« Alexandre a mal vécu l’aspect directif des indications que je lui donnais, ajoute Bernard Campan. Ça lui rappelait tout ce qu’on lui a ordonné de faire pendant ses années à l’institut. C’est un grand risque de réaliser un film avec un ami et de lui donner la réplique, qui plus est quand il n’est pas comédien de formation. Presque occupe d’ailleurs une place très singulière dans mon parcours parce qu’il est indissociable de notre amitié. Je crois que ce film m’a apporté plus de légèreté et de confiance dans ma vie en général, et dans mon métier en particulier. »

Presque est présentement à l’affiche