Campé dans les communautés innue et naskapie du nord de la province, Nouveau-Québec, premier long métrage de Sarah Fortin, est un huis clos des grands espaces à mi-chemin entre le drame intimiste et le suspense. En mettant en scène un couple captif d’une ville quasi fantôme, la réalisatrice met en lumière le fossé entre Autochtones et non-Autochtones et la face cachée de l’exploitation minière. Entretien.

À quand remonte votre rencontre avec Schefferville, et comment le projet s’est-il imposé par la suite ?

J’ai travaillé longtemps pour Wapikoni mobile, qui est un projet de formation en audiovisuel avec les membres des Premières Nations. J’avais déjà fait plusieurs escales dans des communautés autochtones, surtout atikamekw. En 2008, on m’a proposé d’aller à Matimekush-Lac John, qui est la communauté innue établie près de Schefferville. Ç’a été un premier contact assez fascinant. C’est un lieu qui m’a complètement envoûtée, qui avait toute une histoire, tout un passé…

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Scène de Nouveau-Québec

C’est votre premier long métrage de fiction, mais vous avez beaucoup d’expérience documentaire. Compte tenu des conditions difficiles de tournage, ce bagage a dû être bien utile ?

Assurément. J’avais envie de provoquer la fiction en la mettant dans un contexte difficile. J’aurais pu en faire un documentaire, mais j’avais envie de raconter quelque chose, et c’est un récit fictif qui s’est imposé à moi. C’est l’histoire de Sophie [Christine Beaulieu], accompagnée de son amoureux, Mathieu [Jean-Sébastien Courchesne], qui retourne sur les traces d’un passé qui lui est peu familier. Il y a un lourd passé à Schefferville. Tous les allochtones qui ont été là pendant 15, 20 ou 30 ans [les travailleurs de la minière IOC, qui a tiré un trait sur ses activités là-bas en 1982] ont laissé beaucoup de traces. Quand ils ont quitté les lieux, ils n’ont plus regardé derrière. Mais plein de gens sont restés et ont dû vivre avec les conséquences de la fermeture de la mine. Peut-être vu que c’était surtout des Autochtones, on a eu le sentiment que c’était moins grave… J’avais envie que mes personnages observent le poids de l’histoire du lieu.

Le territoire est presque un personnage à part entière dans le film…

Les traces du passé, elles sont partout. Dans le village, dans les choses qui ne sont plus là, dans les maisons qui ont été démolies. Elles sont aussi dans les trous de mine, comme des cicatrices du passage des travailleurs miniers. Donc oui, pour moi, le lieu est un personnage, et il n’y avait aucune façon qu’on tourne ce film ailleurs que là, parce que c’est un symbole important de l’histoire du Québec. Toutes les traces sont encore visibles, il n’y avait rien à recréer.

Vous avez trouvé une partie de la distribution sur place, ce qui imprègne le film d’une certaine authenticité. C’était important pour vous ?

C’était essentiel que les gens de la place se sentent représentés, se voient et s’entendent [dans le film]. Qu’on entende de l’innu, aussi. Je suis allée cinq années d’affilée dans la région, et j’ai beaucoup travaillé avec les communautés dans le cadre de Wapikoni, donc j’avais de bonnes relations avec les gens de la communauté. Mais trouver des acteurs, ç’a été une autre paire de manches. Les gens, ça se peut qu’ils ne soient pas disponibles ou que ça ne les intéresse pas, et le bassin est quand même assez petit.

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Jean-Luc Kanapé et Christine Beaulieu dans Nouveau-Québec

Les personnages de Sophie et de Mathieu réagissent très différemment lorsqu’ils se retrouvent, pour une rare fois, en contact avec la réalité autochtone…

Quand on est mis sous pression, on ne réagit pas toujours comme on le pense. On dit souvent que les plus gros défis pour les couples, c’est de rénover ou de partir en voyage [rire]. Dans ce cas-ci, même si ça reste au Québec, le territoire dont ils sont prisonniers impose beaucoup plus de contraintes qu’ils pensent. J’ai choisi que le personnage de Mathieu prenne une tangente qui n’est pas celle que je privilégie ou qui est souhaitée, mais que je peux quand même comprendre, et qui existe. Parce que c’est vrai que c’est un milieu qui est difficile et que la rencontre avec les autochtones n’est pas toujours simple. Mais je pense qu’il faut la faire, même si elle est confrontante.

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Christine Beaulieu et Jean-Sébastien Courchesne interprètent Sophie et Mathieu dans Nouveau-Québec

Sophie, elle, choisit d’emprunter la voie de la réconciliation ?

Tout à fait. Sophie est à la recherche de solutions. Mais j’ai l’impression qu’on a pris beaucoup les décisions à la place des Autochtones, qui finalement ne souhaitent qu’être souverains sur le territoire qu’ils habitent depuis si longtemps. C’est un peu ça que Sophie réalise à la fin du film, qu’il est temps qu’on reconnaisse l’agentivité des Premières Nations.

Les propos ont été édités à des fins de concision.

Nouveau-Québec prendra l’affiche le 18 mars.