Quel impact aura le verdict de culpabilité — même partiel — du producteur américain déchu Harvey Weinstein sur les victimes d’agressions sexuelles au Québec ? En ces lendemains du mouvement #metoo aux États-Unis, y aura-t-il des répercussions de cette affaire au Québec ?

« C’est une bonne nouvelle, dit Jenny Charest, directrice générale du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) pour la région de Montréal. Les victimes ont besoin de ça. Ce que ça envoie comme message, c’est que même quelqu’un de très puissant ne peut pas s’en sortir. Je suis sûr que ça va encourager d’autres femmes à dénoncer leurs agresseurs. »

On pourrait donc s’attendre à ce que ce verdict ait un effet sur le nombre de plaintes, ici, au Québec ?

« Probablement, répond Mme Charest, qui parlait au nom des 17 CAVAC du Québec. C’est ce qu’on a vu par le passé. On entend souvent dire que le système judiciaire ne répond pas aux besoins des victimes, que c’est très difficile pour elles, mais on constate que lorsqu’on les accompagne, qu’on les soutient, ça peut donner des résultats. »

Parfois ce n’est pas le verdict espéré ou la peine souhaitée, mais au moins, croit-elle, il y a une « réponse » du système judiciaire. « Je crois que les victimes ont plus l’impression d’être écoutées et d’être crues. »

Un verdict comme celui de Weinstein montre que même si des victimes ont été questionnées et qu’on a remis en cause leur crédibilité, parce qu’elles avaient conservé des liens avec lui, le système a reconnu la valeur de leur témoignage.

Jenny Charest, directrice générale du CAVAC de Montréal

« Une personne qui est en stress post-traumatique ne va pas faire les mêmes gestes qu’une autre. Les chercheurs parlent de réactions normales à une situation anormale. »

Pourtant, les victimes ne sont pas ménagées par certains avocats de la défense, qui n’hésitent pas à les attaquer de toutes les façons possibles.

« C’est vrai, dit Jenny Charest, mais quand on les prépare à témoigner, on essaie de leur expliquer que ce n’est pas parce qu’un avocat de la défense cherche à les décrédibiliser que tout le monde va le croire. Ce sont des questions difficiles, mais une personne qui se tient debout et qui relate son histoire peut sortir la tête haute. Peu importe l’issue du procès, cette personne pourra vivre cette expérience de façon positive. »

L’impact de l’actualité

À l’automne 2017, dans la foulée des affaires Salvail et Rozon, le nombre de dénonciations d’agressions sexuelles a explosé au Québec. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a même dû mettre en place une ligne d’urgence pour répondre à la demande.

Entre le 19 octobre et le 6 novembre, 463 appels avaient été reçus, l’équivalent de 10 à 25 appels par jour. Le 20 octobre, deux jours après la publication du dossier de La Presse sur Éric Salvail, 114 appels ont été enregistrés. Du jamais vu. Le nombre d’enquêteurs était passé de 33 à 50, avant que la ligne ne soit finalement retirée.

Bref, l’actualité a nettement un impact sur le comportement des victimes d’agressions. Un constat que fait également Jenny Charest.

« Cet automne-là, le nombre de demandes d’aide aux CAVAC a augmenté de 45 % », souligne Mme Charest, qui rappelle que l’expertise de l’organisme québécois est centrée sur les interventions post-traumatiques et l’accompagnement judiciaire des victimes. « On avait vécu le même phénomène après la couverture de l’agression de Nathalie Simard. »

Même si l’affaire Weinstein se passe aux États-Unis, « c’est cette affaire qui a enclenché tout le phénomène #moiaussi au Québec », rappelle Jenny Charest.

« Ce qui est encourageant, c’est que cette augmentation s’est poursuivie l’année suivante, même si elle n’a pas été aussi importante, précise Mme Charest. On parle de 17 % d’augmentation. Les victimes de violence sexuelle continuent de s’adresser à nous. C’est important de dire aussi que pour avoir accès à nos services, il n’est pas nécessaire d’avoir porté plainte. Parfois, on a juste besoin d’aide. »

La question de porter plainte ou non est en effet au cœur des décisions prises par les victimes d’agressions, et les CAVAC les accompagnent dans cet exercice. « Nos intervenants sont formés pour les aider à prendre la bonne décision et les aider pendant tout le processus. »

Au bout du compte, Mme Charest estime que la société est plus sensible aux récits des victimes d’agressions sexuelles.

« Il y a une conscience sociale en ce moment sur ces questions, on sent une évolution et une meilleure compréhension de ce que les personnes victimes vivent. On les croit plus qu’avant. Le message que ça envoie, c’est que ça peut réussir. Parce qu’on entend trop souvent dire que ça ne vaut pas la peine de porter plainte, et ça, ça nous fait peur, parce que ça fait que les gens s’isolent et ne vont pas chercher d’aide, et c’est ce qu’on veut éviter. »