On la croyait immortelle. Il y a moins de deux mois, nous l'avons vue au Festival de Berlin, l'esprit bien en forme, toujours très en verve. Elle s'était rendue à la Berlinale afin d'accompagner Varda par Agnès, un documentaire destiné à la chaîne franco-allemande Arte, dans lequel elle retraçait son oeuvre, colossale, bien sûr.

Personne n'aurait alors pu soupçonner que cette femme de 90 ans, si vive, nous quitterait aussi rapidement. Agnès Varda avait d'ailleurs bien pris soin d'interrompre gentiment l'animatrice de la conférence de presse quand cette dernière l'a présentée comme une «légende» du cinéma. «Je ne suis pas une légende, je suis vivante!», a-t-elle dit.

Elle avait toutefois prévenu l'auditoire qu'elle souhaitait ralentir ses activités et que ses apparitions publiques se feraient désormais plus rares. «J'ai déjà beaucoup parlé de moi. Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter. Dans ce film, je montre aussi beaucoup de gens qui ont nourri mon cinéma. C'est comme une façon de dire au revoir, car je dois me préparer à partir. En paix.»

Agnès Varda a certainement pu nous quitter en revendiquant ce sentiment de paix et de sérénité. Il y a, d'abord, sa contribution exceptionnelle à l'art cinématographique. Seule femme dans le mouvement de la Nouvelle Vague, qu'elle a pratiquement précédée (La Pointe-Courte, son premier film, est sorti en 1956), elle compte dans sa filmographie, de Cléo de 5 à 7 jusqu'à Visages, villages, des oeuvres aussi marquantes que singulières.

Femme de combats

Mais au-delà des films, il y a l'implication d'une cinéaste qui a été de tous les combats, particulièrement pour assurer aux femmes la place qui leur revient dans le monde. Libre d'esprit, ayant toujours fait les choses à sa manière, elle a mené ses luttes avec discrétion, sans jamais offrir son militantisme en spectacle. Agnès Varda, qui a en outre été de la fameuse montée des marches de 82 femmes au Festival de Cannes l'an dernier, au cours de laquelle elle a pris la parole avec Cate Blanchett, n'a d'ailleurs pas caché son malaise à ce propos.

«Cette opération à Cannes a quand même eu le mérite de faire bouger les choses dans le monde des festivals de cinéma, où il y aura désormais plus de femmes dans les comités de sélection, a-t-elle déclaré à la Berlinale. Mais je ne suis pas certaine qu'il faille toujours faire des actions spectaculaires pour y arriver. Je ne veux rien critiquer, mais de belles femmes, de beaux escaliers et de belles robes... tout ça est parfois moins efficace que de marcher dans la rue!

«Oui, on compte maintenant plusieurs réalisatrices, mais il est très important qu'on retrouve des femmes dans tous les métiers du cinéma.»

«Il faut qu'elles deviennent aussi directrices photo, techniciennes de son, qu'elles occupent des postes clés. Et puis, c'est bien de réclamer la parité dans le milieu du cinéma, mais il faudrait aussi la revendiquer partout où il n'y a pas de showbiz!»

Cette déclaration illustre bien la détermination d'une artiste pour qui l'art et la vie étaient intrinsèquement liés.

PHOTO JEAN-LOUP GAUTREAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

En 1986, Agnès Varda a présenté le film Sans toit ni loi, à Paris, dans lequel Sandrine Bonnaire tenait le premier rôle.

«L'art est essentiel, car il nourrit les gens autrement qu'avec les discours et les journaux télévisés, avait-elle déclaré à La Presse au moment de la sortie de Visages, villages, un documentaire coréalisé avec le photographe JR, spécialiste de l'art urbain. Nous voulions que les gens embarquent avec nous, qu'ils se joignent à notre fantaisie. C'est l'imagination au pouvoir, en quelque sorte!»

Reconnue, mais pas vedette

Ce film, dans lequel des femmes et des hommes rencontrés sur des routes de campagne étaient intégrés dans l'art d'Agnès Varda et de JR, a été cité aux Oscars. La cinéaste a aussi eu droit à un Oscar d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre.

Même si, à ses yeux, elle pratiquait un cinéma «modeste et marginal», qui n'attire pas les foules comme les superproductions, Agnès Varda était largement reconnue sur la scène internationale, particulièrement chez les Anglo-Saxons.

PHOTO TOBIAS SCHWARZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Agnès Varda et sa fille, la créatrice de costumes Rosalie Varda-Demy, ont présenté le film Varda par Agnès au Festival de Berlin, en février dernier.

«Vous savez, nous avait-elle dit, je travaille depuis 60 ans. Cléo de 5 à 7 est un film dont on me parle encore très souvent, qui est étudié dans les écoles de cinéma. Qu'on me remette un Oscar m'impressionne beaucoup, car le milieu du cinéma hollywoodien se tourne plus souvent vers des films plus commerciaux. Cet honneur veut surtout dire qu'on reconnaît mon travail, plus en marge. Ça me met à ma vraie place, reconnue mais sans être mélangée aux stars bankables [rentables]. C'est bien, c'est amusant, et ça me surprend un peu. Et comme c'est un cadeau, je ne vais certainement pas dire non.»

Une grande amoureuse

Dans ce souhait de partir «en paix», il y a sans doute aussi l'idée de retrouver son «Jacquot de Nantes», Jacques Demy, le mari et complice tant aimé, réalisateur des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort, dont elle a farouchement préservé l'oeuvre et la mémoire depuis la disparition de ce dernier, il y a près de 30 ans.

Agnès Varda était une grande amoureuse. De la vie, de l'art. Et de l'homme qu'elle a aimé.

Merci, Agnès. Le monde vous doit beaucoup.

PHOTO ALBERTO PIZZOLI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Agnès Varda a présenté son film Les plages d'Agnès au Festival de Venise, en 2008.