Il y a dans la vie certaines certitudes désagréables, mais confortables et difficiles à perdre (on appelle ça des préjugés). Une de ces idées reçues est que tous les Américains aiment mieux passer trois heures par jour dans des bouchons monstres que d'être vus aux alentours d'un autobus.

Or un sondage absolument étonnant semble indiquer que les Américains commencent à en avoir ras-le-pompon de leurs deux séances quotidiennes de pare-choc à pare-choc. Ce sondage d'un lobby appelé Transportation for America (composé d'organismes ressemblant à notre Transports 2000) montre que 82% des Américains voudraient plus de financement public pour le train de banlieue et l'autobus. Une partie d'entre eux voudrait même que le l'État finance plus de... pistes cyclables!

 

Le sondage ne dit certainement pas que tous ces Américains sont prêts demain matin à se corder dans le métro comme les habitants de Tokyo, ni qu'ils réclament des Bixi pour s'affranchir de l'auto. Mais le sondage dit par contre qu'une majorité (73%) d'entre eux choisit l'auto pour aller travailler «par défaut», parce qu'ils n'ont pas vraiment d'autre option à considérer.

 

Et non, le sondage n'a pas été fait uniquement au Vermont; selon la carte faite à partir du sondage, l'échantillonnage est géographiquement dispersé. Cela étant, vous avez raison si vous pensez que l'appui au transport en commun est le plus marqué en Nouvelle-Angleterre et dans le Nord-Est en général. Tout de même, 58% des Américains disent que le gouvernement devrait investir davantage sur le transport public.

 

«Dans les villages comme dans les grandes villes, les Américains dissent haut et fort que leurs vies seraient meilleures et que le pays serait plus fort si nous avions du transport public de classe mondiale et plus d'options pour le vélo et la marche», a claironné dans le communiqué de presse Geoff Anderson, président de Smart Growth America, un des organismes de la coalition Tranportation for America.

 

Évidemment, les gens disent bien des choses au téléphone, dans un sondage, surtout après un retour à la maison particulièrement corsé dans le trafic. L'expérience canadienne est éclairante à ce sujet: au Canada, où les transports en commun publics sont beaucoup mieux financés qu'aux États-Unis, les utilisateurs du transport en commun passent plus de temps à se déplacer que les automobilistes (voir plus bas dans le texte).

 

Mais le sondage de Transportation for Americans est quand même un son de cloche intéressant, dans un pays où certaines villes du Sud ne mettaient même pas de trottoir au centre-ville il n'y a pas si longtemps.

 

L'autoroute contre le transport en commun

 

La coalition Transport America a rendu ce sondage public dans le cadre de ses efforts de lobbying pour influence le prochain plan quinquennal de transports qui doit être adopté par le congrès. Les organismes veulent éviter que tout l'argent soit dirigé vers la construction d'encore plus d'autoroutes.

 

Jusqu'en 1993, l'investissement massif dans le réseau autoroutier américain avait causé une légère réduction du temps de navettage (l'aller-retour maison-travail), en parallèle d'une forte augmentation des distances franchies chaque jour en auto (et de la vitesse de déplacement). Mais la tendance s'est inversée depuis: les sondages et la réalité observable chaque matin et soir montrent que les Américains passent de plus en plus de temps dans l'auto.

 

Le sondage décennal américain, qui doit avoir lieu ce printemps, devrait apporter des données plus fraîches et plus complètes que les sondages quinquennaux du ministère des Transports américains. Ces derniers montraient, notamment, que de plus en plus d'Américains font plus que 50 milles (80 km) chaque jour.

 

Le transport en commun: beaucoup plus long que l'auto

 

Mais il n'est pas certain que la disponibilité du transport en commun incite les Américains à échanger leur trousseau de clefs contre une passe d'autobus. Le temps de transit est un des deux facteurs-clefs (l'autre est le coût) qui influencent la décision de prendre l'autobus ou le train. Et l'expérience canadienne montre que prendre les transports en commun, en général, est plus long que prendre l'auto.

 

«En général, les automobilistes effectuent l'aller-retour entre le domicile et le travail en beaucoup moins de temps que les utilisateurs du transport en commun, peut-on lire dans la plus récente étude de Statistiques Canada sur le temps de navettage.

 

Photo AFP

Jusqu'en 1993, l'investissement massif dans le réseau autoroutier américain avait causé une légère réduction du temps de navettage. Mais la tendance s'est inversée depuis.

En 2005, par exemple, la majorité (55%) des travailleurs voyageant en voiture ont fait l'aller-retour entre le domicile et le travail en moins de 60 minutes. Toutefois, seulement 13% des personnes se déplaçant en autobus ou en métro ont pris moins d'une heure. La durée moyenne d'un aller-retour entre le domicile et le lieu de travail a augmenté pour les utilisateurs du transport en commun et les automobilistes entre 1992 et 2005.

 

«En ce qui concerne les automobilistes, la durée moyenne s'est accrue, passant de 51 à 59 minutes. Pour ce qui est des utilisateurs du transport en commun, elle a également augmenté, passant de 94 à 106 minutes», écrivent les analystes de Statistique Canada.

 

«En 2005, près des deux tiers (64%) des travailleurs utilisant le transport en commun ont passé 90 minutes ou plus de leur journée à se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail. En 1992, cette proportion était de 48%. En ce qui concerne les travailleurs qui voyagent en voiture, la proportion de ceux dont l'aller-retour a pris une heure et demie a augmenté, passant de 15% à 21% durant cette période.»

 

Cela étant, Statistiques Canada notait aussi que les transports en commun sont plus utilisés dans les grandes villes canadiennes que dans les grandes villes américaines.

 

Photo La Presse Canadienne

Selon Statistiques Canada, les automobilistes effectuent l'aller-retour entre le domicile et le travail en beaucoup moins de temps que les utilisateurs du transport en commun.