Il est déjà 21h20. La nuit est fraîche; la chaussée partiellement humide. Je décroche la clé posée sur le clou et me dirige lentement vers elle en songeant à tous les soins (lire les dollars) que je devrai, de nouveau, lui prodiguer pour éviter qu'elle ne devienne une caricature d'elle-même. "Combien cette fois?", me suis-je dis en apercevant le carton imbibé d'huile sous la voiture. La réponse est venue deux semaines plus tard: 889,96$. En plus de la main-d'oeuvre, des taxes, de quelques boulons et rondelles. Voilà ce qu'il en coûte de remplacer le servofrein, pièce maîtresse du système hydraulique de cette voiture. Hélas, ça ne s'arrêtera pas là.

Il est déjà 21h20. La nuit est fraîche; la chaussée partiellement humide. Je décroche la clé posée sur le clou et me dirige lentement vers elle en songeant à tous les soins (lire les dollars) que je devrai, de nouveau, lui prodiguer pour éviter qu'elle ne devienne une caricature d'elle-même. "Combien cette fois?", me suis-je dis en apercevant le carton imbibé d'huile sous la voiture. La réponse est venue deux semaines plus tard: 889,96$. En plus de la main-d'oeuvre, des taxes, de quelques boulons et rondelles. Voilà ce qu'il en coûte de remplacer le servofrein, pièce maîtresse du système hydraulique de cette voiture. Hélas, ça ne s'arrêtera pas là.

Lorsqu'il s'agit d'évaluer le travail à accomplir dans l'habitacle, il vaut mieux s'asseoir et, pourquoi pas, prendre deux cachets d'aspirine. Depuis le début de ce feuilleton sur roues, vous n'avez rien su concernant l'intérieur. La carrosserie, la mécanique, les roues, mais pas l'habitacle. Jamais. Il est dans un état beaucoup trop piteux. La partie basse du tableau de bord a été retirée; il n'y a plus de coffre à gants, ni de panneaux de contre-portes. Et si, à tout hasard, vous montiez du côté passager, je vous prierai de faire attention de ne pas poser le pied sur l'ordinateur de bord - oui cette boîte métallique - qui gît sur la moquette. Précieux. Aussi, je vous supplierais de fermer les yeux sur le trou béant dans la console suite au départ de la radio; sur la cicatrice opérée par une pierre sur le pare-brise; ou encore sur le bout de bois qui supporte fixement la glace de la portière droite. Permettez que j'arrête ici, cette - courte - description me donne le vertige et alarme mon banquier.

Qui sait où s'arrêtera cette restauration amorcée il y a bientôt trois ans? Il est déjà trop tard pour reculer. Le mal est fait. Si ce projet est laissé en plan, jamais je ne récupérerai le cinquième de la somme des factures qui, assemblées à la chaîne, rivaliserait en épaisseur avec l'annuaire téléphonique d'une ville de moyenne importance. Et voilà que deux pages de plus viennent de s'ajouter; mon concessionnaire m'annonce à l'instant que les réparations (servofrein et régulateur de glace) sont complétées. Vous prenez votre petit déjeuner? Alors je vais vous épargner le montant de la facture.

Je suis donc allé la cueillir jeudi dernier. Elle m'attendait sagement, garée au milieu de voitures récentes. Elle m'apparaît alors toute petite, toute fragile ("trop fragile", corrige ma petite voix intérieure), si belle aussi au milieu de ses carrosseries qui finissent toutes par se ressembler. Elle est unique; mieux encore: intemporelle.

Au quart de tour le cinq cylindres suralimenté par turbocompresseur déchire l'air qui circule autour de la concession. À l'horizon, la voie rapide s'enfonce sous un viaduc avant de dessiner une courbe moyennement rapide. Le plaisir, le vrai, commence ici. Cette Ur-Quattro n'est pas, faut-il le rappeler une voiture ordinaire. Loin de là. En son temps c'était un outil de précision conçu et affûté en fonction d'un objectif non moins précis, qui n'avait qu'un lointain rapport avec le grand tourisme. Et la version que je conduis, amputée de ses plus fiers attributs, émasculée, n'est qu'un pâle reflet de la «véritable» Ur-Quattro. Celle qui, au début des années 80, fut la reine des épreuves routières de son temps. Qu'importe, le «thrill», comme disent les ados, est toujours là. Privée d'anges gardiens (ABS, correcteur de stabilité, antipatinage), la Ur-Quattro n'est pas docile. Par exemple, la maîtrise des trajectoires à vitesse élevée n'est pas une opération de tout repos et à son bord, les trous et les bosses sont durement ressentis ce qui n'en fait pas une compagne de voyage très confortable. Mais ce qui serait catalogué comme défaut à bord d'une voiture moderne contribue au contraire à rendre cette Ur-Quattro plus attachante encore. Pour preuve, j'ai déjà presque oublié ce qu'il venait de m'en coûter aujourd'hui. Et plus encore en empruntant une route sinueuse, là où tous les défauts qui contribuent à rendre sa marche maladroite sur autoroute deviennent des éléments de son adresse. Son moteur a suffisamment de souffle pour la faire jaillir des épingles en montée les plus rudes avec une fantastique vivacité, grâce à une motricité presque surnaturelle. Le charme opère toujours!

Chemin faisant, je me suis arrêté à une station service près de chez moi. Un rituel depuis que ma jauge d'essence ne fonctionne plus. Une Porsche noire s'arrête à ma hauteur. Son conducteur me regarde, lève le pouce en l'air. Un signe anodin peut être, mais un de ceux qui vous requinque le moral (pas le portefeuille cependant) et vous donne envie de poursuivre la reconstruction; d'aller au bout de nos rêves, même si ceux sont parfois déraisonnables. Un peu.