Comprenez-moi bien: je ne suis pas en train de vous suggérer d’acheter une Elise. Elle est trop peu pratique pour vivre au quotidien (habitacle étriqué, coffre minimaliste, deux places seulement). Mais elle appartient aux voitures vraies. Celles qui n’ont pas peur d’afficher leurs particularités, leurs aspérités, voire leurs défauts. Celles pour lesquelles on se prend de passion et dont on ne se sépare qu’avec regret. L’espèce est en voie de disparition mais l’oiseau rare n’est pas introuvable. La recette est simple, puisque vous aimez l’automobile: choisissez donc avec votre coeur...

Élise, je t’aime!

Les frais de transport et d’hébergement pour ce reportage ont été défrayés par Lotus Cars of USA

À cause des caissons latéraux de son châssis et de l’immuabilité de sa colonne de direction, il faut toute une allonge pour en prendre les commandes. Aussi épais que deux billets de la Place des Arts, les sièges de cette Élise se révèlent pourtant très confortables. On y conduit couché, le levier de vitesse trop près du corps, les pieds cherchant leur chemin vers un pédalier auquel conviendraient des chaussons de ballerine. En outre, à 100km/h, toute tentative de communication avec le passager est vouée à l’échec. L’Elise place en effet la conduite au-dessus de toute autre considération. En fait, contrairement aux autres roadsters qui circulent dans nos parages, l’Elise concède très peu au confort et rien au luxe, à moins de vous laisser séduire par les nombreuses (et coûteuses) options qui se trouvent inscrites au catalogue. Le climatiseur et la radio figurent sur la liste des caractéristiques de série. Pour obtenir un porte-gobelets il faut cocher l’option Premium Pack, qui coûte 855. Et pour lui offrir une robe orange, comme notre véhicule d’essai, c’est 1475.

Les défauts de l’Elise, les acheteurs potentiels n’en ont cure. Elle est exclusive, radicale, extravagante, donc forcément imparfaite. À leurs yeux, l’essentiel du contrat est rempli: cette Lotus décoiffe… dans tous les sens du terme. Ne vous réjouissez pas trop vite cependant. L’Elise est inaccessible au commun des mortels. Son prix (58 550) la classe d’office parmi les joujoux destinés à une clientèle fortunée. Mais c’est le prix de l’originalité!

L’important est que ce roadster pur jus possède ce qui fait le plus défaut aux autos modernes: du caractère. Oui, il est bruyant, tapecul et sacrifie très peu au confort. Mais avec son agilité proverbiale et la part belle qu’il laisse au pilotage, il est attachant en diable.

Le moteur monté en position centrale arrière compte sur deux larges entrées qui saignent les portières pour s’éventer. Les 190 chevaux de ce quatre cylindres d’origine Toyota se jouent du poids réduit du roadster britannique, qui affiche 899 kilogrammes à la pesée. Rien n’entrave ses envolées vers les hauts régimes. Ce moteur, qui anime depuis quelques années déjà certaines Corolla et Matrix, profite ici d’une gestion électronique spécifique, d’un collecteur d’admission partiellement redessiné et d’une double sortie d’échappement à la musique ensorcelante. Dès que la minuscule pédale d’accélérateur est enfoncée, l’Elise bondit avec une telle rapidité qu’elle atteint le cap des 100 km/h en moins de 6 secondes. Les six rapports de sa boîte manuelle (gracieuseté de Toyota, elle aussi), se laissent aisément guider dans le compact écrin dessiné par les ingénieurs britanniques.

Chaque coup de volant donne envie d’en remettre. L’Elise chante, vous jette d’un virage à l’autre, taille la trajectoire au scalpel. À son volant, le long serpent de goudron s’avale avec gourmandise. Lorsque les bosses n’osent plus menacer les suspensions, que les quatre roues ont glissé à la perfection, que le moteur a hurlé sa joie d’avoir autant de vaillantes soupapes, il suffit de tourner la clef pour que tout s’arrête, sans la moindre inertie, instantanément.

Il faut aussi la regarder

Maintenant, descendez et regardez-la. C’est une Lotus. Alors rassurez-vous tout de suite: les photos ne lui rendent pas totalement justice. Et pourtant, elle a 10 ans cette année. Elle est plus belle nature, avec ses ailes musclées et sa tête de squale. Et plus gracieuse encore lorsqu’on lui retire l’affreuse postiche qui la coiffe par mauvais temps. Pour goûter pleinement à tous les plaisirs, la meilleure solution est encore de la laisser au garage les jours de pluie.

Les BMW Z4, Porsche Boxster, Audi TT, pour ne nommer que ces trois-là, roulent à des vitesses encore plus folles que cette Lotus, dans un silence qui inspire un sentiment de sécurité trompeur, et s’interdisent, grâce à de nombreux et coûteux garde-fous électroniques, le moindre écart de trajectoire. À leur volant, on finit par s’ennuyer ferme. Transgresser les limites de vitesse n’a rien de bien méritoire tellement ces sportives sont bien affûtées. En fait, dans cet aréopage de roadsters, l’Elise est sans rivale. À côté, les Mercedes SLK ou Audi TT paraissent engoncées dans leur plastron de luxe, et les BMW Z4 ou Porsche Boxster lovées dans le confort.

Aux commandes de l’Elise, on s’imagine très vite pilote. Attention, cependant: la répartition des masses (39/61) peut vous jouer des tours si vous devez lever le pied au milieu d’une grande courbe à vitesse élevée; le transfert du poids a alors un effet négatif sur le train arrière, qui amorce aussitôt un tête-à-queue sans crier gare. Mais à vitesse plus basse, cette inquiétante instabilité se transforme en une étonnante agilité. Dès lors, l’Elise se comporte avec une grande docilité, et point n’est besoin de trop braquer pour l’inscrire dans la direction souhaitée. Le petit volant gainé de cuir transmet sans interférence chacune de vos manœuvres. Et sur les petites routes, l’Elise attrape vos deux mains, la direction ne profitant d’aucun dispositif d’assistance.

Pour vivre le grand frisson, Lotus propose des suspensions plus sportives (Sport Pack à 3050  et Track Pack à 6120 ), mais à moins de vouloir amener l’Elise sur un circuit et considérant l’état lamentable de notre réseau routier, la configuration de base est parfaitement appropriée.

C’est une question souvent posée à tout journaliste automobile: «Alors, qu’est-ce que tu as essayé de vraiment exceptionnel, dernièrement ?» Mon interlocuteur s’attend à ce que je lui raconte la prise en main de la dernière Aston-Martin DB9, de la Maybach... Au risque de le décevoir et de vous étonner, je lui dirai aujourd’hui que je viens d’essayer ce que je considère le véhicule le plus enthousiasmant de la planète: la Lotus Elise.

Oui, vous avez bien lu. Une petite puce au profil de voiture vendue en kit dans les Popular Science de ma jeunesse, pas plus sophistiquée qu’il ne le faut, qui vous transporte dans un vacarme infernal et un inconfort réel... Et pourtant, j’ai adoré me cogner les épaules contre ses portières, me faire râper le mollet droit contre la paroi de sa console, me faire torturer les vertèbres au passage de la moindre saignée.

Et j’ai compris, après quelques kilomètres, que j’étais en train de redécouvrir le plaisir de l’authenticité. Rien à voir avec les sportives ultrasophistiquées que les constructeurs nous concoctent à longueur d’année: lancées dans une course effrénée à la nouveauté, à l’hypertechnologie et à la sécurité, elles finissent par rivaliser... de banalité. Et elles se démodent bien vite. En fait, qui se pâme encore pour une Mustang, une 350Z ou encore une Eclipse?