Si l'audace dont a régulièrement fait preuve le constructeur anglais Triumph depuis sa résurrection, au début des années 90, n'a certes pas toujours généré des modèles à succès, elle a en revanche permis à la firme de Hinckley de mieux comprendre comment elle est perçue par l'univers motocycliste.

Ce qui l'a d'ailleurs poussée, il y a quelques années, à proclamer qu'elle se consacrerait dorénavant à produire des modèles exclusivement animés soit par un bicylindre parallèle, soit par un tricylindre en ligne, deux configurations moteurs qu'elle considère comme ses signatures mécaniques.

La nouvelle Thunderbird 2010, le premier custom de grosse cylindrée de l'histoire de Triumph, représente sans l'ombre d'un doute l'application la plus délicate de cette volonté. L'univers custom voue en effet une importance ni plus ni moins que fanatique au V-Twin, une configuration mécanique rendue aussi célèbre que convoitée par Harley-Davidson, et reprise par presque tous les autres constructeurs. Or, Triumph a plutôt choisi d'aller à contre-courant et de mettre au point un Twin parallèle pour sa nouveauté, une décision qui se veut littéralement un pari. Le public hautement conservateur que sont les acheteurs de customs récompensera-t-il l'audace de ce choix ou, trop attachés à leur sacro-saint V-Twin, bouderont-ils plutôt cette direction?

Seul le temps le dira, évidemment, mais Triumph semble assez sûr de son coup. «Le nombre d'unités du créneau custom est tellement élevé que nous n'avons besoin que d'une infime part de ce marché pour rentabiliser le projet. Nous croyons que l'aspect différent de la Thunderbird attirera une clientèle suffisante pour atteindre ce but et que ce même aspect différent servira aussi à renforcer notre image de marque et notre slogan Go your own way

Il est tellement question de ce choix de configuration mécanique lorsqu'on discute de la Thunderbird qu'on se demande parfois si on ne fait pas trop de cas de ce sujet, mais la vérité est que chaque fois qu'on tente de ne plus y porter attention, on s'y trouve ramené de plus belle. Le style du modèle, par exemple, est très influencé par la silhouette verticale du Twin parallèle, celui-ci paraissant presque égaré au milieu de ces courbes où trône habituellement un bicylindre en V. Le pari de Triumph semble d'autant plus grand que le style d'un modèle se retrouve souvent au premier rang des facteurs décisionnels des acheteurs de customs.

L'un des aspects les plus intéressants de la Thunderbird est que bien qu'elle paraisse très différente en raison du choix de la mécanique qui l'anime, une fois en selle, l'expérience de conduite qu'elle offre se rapproche énormément de celle que propose la moyenne des gros customs. En fait, à plusieurs égards, la nouvelle Triumph est même nettement supérieure à cette moyenne, par exemple pour la surprenante précision de la partie cycle en virage. Celle-ci est due non seulement à une construction particulièrement solide du cadre, mais aussi à l'usage de roues larges chaussées de pneus à profil bas presque sportifs. Des suspensions capables de faire leur travail, ce qui est loin d'être la norme dans ce type de motos, ainsi que de très bons freins pouvant être équipés d'un système ABS en option sont d'autres exemples des points forts du modèle, au plan technique.

D'une façon tout à fait ironique, la plus grande surprise que réserve la Thunderbird concerne sa mécanique. L'ironie vient du fait que malgré tout le brouhaha qui entoure la nature différente et inhabituelle de ce fameux Twin parallèle par rapport au traditionnel V-Twin, les sensations sonores et tactiles communiquées par le moteur anglais ressemblent à s'y méprendre à l'expérience offerte par un V-Twin de cylindrée semblable. Autrement dit, si vous pilotiez la Thunderbird sans savoir quel genre de moteur l'anime, vous devineriez très difficilement qu'il ne s'agit pas d'un V-Twin. D'ailleurs, il se pourrait même fort bien que vous vous déclariez impressionné du profond grondement qui accompagne le rythme saccadé des pistons, ainsi que du généreux couple produit à très bas régimes.

La nouvelle Thunderbird, malgré sa configuration mécanique décidément inhabituelle, demeure donc un custom dans le sens le plus traditionnel du terme. La position détendue, la garde au sol limitée, le bicylindre fort en couple ou encore la ligne rétro sont autant de facteurs qui pointent vers une expérience traditionnelle, même s'il est vrai que cette expérience se veut agrémentée par un comportement routier supérieur à la moyenne. On pourrait donc conclure que Triumph l'a conçue de manière différente, seulement pour faire différent. Ce qui pourrait faire paraître l'exercice quelque peu futile, mais dans un créneau où on peine parfois à distinguer les modèles tellement ils se ressemblent, faire les choses différemment ne devrait-il pas plutôt rapporter?

Bertrand Gahel est l'auteur du Guide de la Moto.

FICHE TECHNIQUE

Marque: Triumph

Modèle: Thunderbird

Prix: 14 899$

Garantie: 2 ans/kilométrage illimité

Moteur: bicylindre parallèle DACT de 1597 cc refroidi par liquide

Transmission: à 6 rapports

Poids: 339 kg (en ordre de marche)

Frein avant: 2 disques avec étriers à 4 pistons

Frein arrière: 1 disque avec étrier à 2 pistons

Pneu avant: 120/70-19

Pneu arrière: 200/50-17