La course automobile a fait vendre de la Budweiser, du Viagra, de l’huile à moteur, du Martini & Rossi et probablement toutes les marques d’essence et de cigarettes. Aujourd’hui, alors que la Formule 1 progresse aux États-Unis, propulsée par la série Netflix Drive to Survive, on verra si elle fait vendre des Aston Martin.

Le milliardaire canadien Lawrence Stroll, qui dirige la marque de voitures britanniques et l’écurie de F1 Aston Martin, a clairement montré ce qu’il en pensait à l’inauguration de la concession Aston Martin sur Park Avenue, à Manhattan, le 14 juin dernier : une équipe de tournage de Drive to Survive ne l’a pas lâché d’une semelle. La série, qui suit les diverses écuries de F1 depuis 2017, s’intéresse aussi à son fils, Lance Stroll, qui pilote une des voitures de cette écurie aux résultats étonnants cette année.

Rendre les Aston aussi bonnes que belles

La prochaine étape pour son père est de conjurer la mauvaise fortune notoire de la marque et de la sortir de l’ombre de Ferrari auprès des riches.

Dehors sur Park Avenue, à travers une des plus grandes baies vitrées de New York, des passants photographient avec leur cellulaire la Valkyrie AMR Pro aux lignes extraterrestres qui domine la luxueuse salle de démonstration.

PHOTO FOURNIE PAR ASTON MARTIN

La Valkyrie AMR Pro dans une salle d’exposition à New York

Conçu par Adrian Newey, légende de la F1, ce fantasme de 4 millions de dollars mû par un moteur de 1000 chevaux est interdit sur la voie publique. Les 40 exemplaires construits peuvent uniquement rouler sur circuit. Cette machine bestiale est l’antithèse des élégantes voitures qui ont forgé l’image d’Aston Martin dans l’après-guerre. Or, c’est avec la Valkyrie et la F1 que M. Stroll veut attirer les jeunes acheteurs qui ne savent rien d’Aston Martin, sinon, peut-être, qu’elle est britannique, chère ou que c’est la marque de prédilection de James Bond.

Profiter de l’essor de la F1
aux États-Unis

Selon M. Stroll, le temps est mûr. Durant des décennies, la F1 aux États-Unis a été un sport marginal presque aussi obscur que le cricket. Mais depuis le succès sur Netflix de la série Drive to Survive, les cotes d’écoute de la F1 et sa popularité grimpent en flèche.

PHOTO JOHANNA GERON, ARCHIVES REUTERS

L’écurie Aston Martin surprend par ses performances cette année. Lance Stroll (ci-dessus) est au neuvième rang du classement, tandis que son coéquipier Fernando Alonso est au troisième rang.

Après avoir été le pré carré du circuit NASCAR, les États-Unis accueillent cette année trois courses de Formule 1 – du jamais-vu en 40 ans –, dont les prochaines à Austin et à Las Vegas.

L’effet F1 pour nous est phénoménal, surtout aux États-Unis. Ce n’est plus la même entreprise depuis que nous avons une équipe de Formule 1.

Lawrence Stroll, grand patron d’Aston Martin

« “Qui gagne dimanche vend lundi.” Ce dicton n’a jamais été aussi vrai », a ajouté M. Stroll, évoquant un cliché qui remonte aux premières courses NASCAR.

L’effet F1

L’effet F1 permet à Aston Martin d’être optimiste quant à ses finances et ambitieuse dans les lancements de modèles qu’elle planifie. En 2022, la société a inscrit une perte d’exploitation de 152 millions, même si ses revenus ont augmenté de 26 %. Mais selon M. Stroll, Aston Martin est en avance sur son objectif de vendre plus de 9000 voitures et d’engranger 2 milliards de dollars par année, surtout grâce au succès du VUS DBX. La moitié des 6412 véhicules vendus par Aston Martin en 2022 étaient des DBX.

PHOTO FOURNIE PAR ASTON MARTIN

La moitié des 6412 véhicules vendus par Aston en 2022 étaient des DBX.

Aston Martin a 110 ans et ses pertes financières font autant partie de son histoire que ses légendaires voitures de l’agent 007 James Bond, dont la DB5 conduite par Sean Connery dans le film Goldfinger de 1964 (un placement de produit historique, bien en avant de son temps).

La direction d’Aston Martin aime citer une étude de marché de janvier dernier, selon laquelle 96 % des clients américains se disent plus enclins à considérer un achat en raison du lien avec la F1. Ce lien « rend les autos plus excitantes à conduire » et « améliore la réputation technologique de la marque », disent 98 % de ceux qui ont déjà une Aston Martin.

Une équipe d’Aston Martin est chargée de « prendre ce que [le constructeur] a appris en course et de trouver le moyen de l’appliquer à la grand-route », dit M. Stroll.

PHOTO VICTOR LLORENTE, NEW YORK TIMES

Une DB12 dans la concession Aston Martin de Manhattan, à New York. Ses lignes évoquent la DB5 conduite par Sean Connery dans le film James Bond Goldfinger de 1964.

Aston Martin peut mesurer les effets de la F1 en temps réel : selon M. Stroll, durant les courses partout au monde, le trafic augmente de 25 % sur l’outil web du site d’Aston Martin permettant aux consommateurs de configurer les modèles et d’en connaître le prix.

D’autres mesures de l’effet F1 sont plus subjectives, notamment sur l’amélioration du moral des troupes.

En juin dernier, Lance Stroll a conduit sa voiture de course dans les aires ouvertes du nouveau siège social d’Aston Martin, dont la construction, juste en face du circuit de Silverstone, en Angleterre, a coûté 260 millions de dollars. Stroll a étendu des marques de pneus gluantes à la grandeur des planchers cirés, pour le plaisir des employés.

Une occasion en or

Ricky Ray Butler est PDG de BENlabs, une société qui utilise l’intelligence artificielle en placement de produits dans l’industrie du divertissement. Il a aidé General Motors à promouvoir ses modèles électriques dans le film Barbie (la Corvette 1956 électrifiée de Barbie ; le Hummer EV de Ken ; un Chevrolet Blazer EV SS 2024). Selon M. Butler, la Formule 1 et Drive to Survive donnent à Aston Martin une occasion en or d’élargir son public et de ravir des parts de marché à la concurrence.

Être en F1 et dans Drive to Survive est une bonne idée, mais c’est juste la partie visible de l’iceberg. Un seul moment viral, c’est un feu de paille. La clé, c’est d’en faire encore et encore pour générer un impact constant.

Ricky Ray Butler, PDG de BENlabs, société de placement de produits

Selon la recherche de BENlabs, le public de la F1 s’intéresse moins, pour le moment, à Aston Martin qu’aux autres marques de luxe, notamment Mercedes-Benz, qui jusqu’à récemment dominait la série depuis des années.

PHOTO VICTOR LLORENTE, NEW YORK TIMES

Lawrence Stroll, grand patron d’Aston Martin

Puisque 41 % des téléspectateurs évitent les publicités, intégrer un produit dans du contenu de façon naturelle et non forcée attire davantage l’attention du public et entraîne de meilleurs résultats, dit Ricky Ray Butler. Lawrence Stroll n’apprécie pas toujours le côté dramatique un peu artificiel de Drive to Survive, mais rien ne semble plus naturel qu’Aston Martin dans la vraie vie, s’efforçant de survivre et de gagner dans la jungle sans pitié qu’est la Formule 1.

Pour ce qui est du tandem Stroll père et fils, sa notoriété croissante contribue au pouvoir de la marque, qui dépend de son image et de sa place dans la culture populaire. Aston Martin prouve que la Formule 1 peut aider à vendre des voitures.

« Ici, on accroche aux murs des étriers de frein plutôt que des vestons ou des robes, mais le principe est le même », explique Lawrence Stroll, laissant transparaître son passé professionnel dans la mode, notamment comme actionnaire de Michael Kors et de Tommy Hilfiger.

« Vous montrez comment vous voulez être perçu par le monde. La montre à votre poignet, les chaussures à vos pieds, la voiture que vous conduisez. Tout ça, c’est ce que vous êtes. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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