«Il y a 10 ans, le marché automobile chinois relevait de la préhistoire», souligne Emmanuel Levacher, directeur commercial Asie-Afrique de Renault.

En Chine, l'automobile est devenue un signe de réussite sociale pour les uns, de richesse pour les autres. Dans une ville comme Pékin, elle a remplacé le vélo. Chaque jour, des milliers de gens achètent une voiture. Les consommateurs se comptent par centaines de millions, et les millionnaires, par centaines de milliers.

Le potentiel du marché automobile est gigantesque. Le nombre de véhicules - en incluant voitures, fourgonnettes, camions légers et lourds - en circulation correspond à 6% de la population chinoise qui s'élève, rappelons-le, à 1,36 milliard de personnes. On estime même qu'entre 1,3% et 1,7% des Chinois seulement possèdent leur propre voiture.

Cerise sur le gâteau, la population est jeune. L'an dernier, 43% des acheteurs d'automobiles étaient nés dans les années 80.

La première baisse des ventes sur ce marché depuis 10 ans (-0,3% au premier trimestre) ne porte même pas ombrage aux prévisions de croissance du marché automobile qui oscillent entre 8% et 12% pour cette année. «Ce marché ne montre pas de signes de surcapacité», juge Carlos Ghosn, PDG de l'Alliance Renault-Nissan.

Si l'on ajoute à ce portrait des coûts de production parmi les plus faibles du monde et une ferme volonté politique de voir émerger une industrie automobile nationale, tout est réuni pour faire de la Chine un véritable Eldorado pour les géants de l'automobile.

Premier groupe à avoir mis les pieds en Chine il y a 27 ans, Volkswagen y a investi 7,8 milliards rien que ces deux dernières années. L'empire du Milieu représente à lui seul 29% du marché mondial du groupe. La Chine est également le premier marché du japonais Nissan, qui y réalise le quart de ses ventes mondiales. L'allemand Daimler AG veut y investir 4 milliards pour devenir le numéro 1 en 2020. «Tout le monde a trouvé sa place en Chine, ce marché se segmente tellement il est énorme», ajoute Emmanuel Levacher.

L'influence gouvernementale

Le gouvernement chinois l'a bien compris et ne veut pas voir le pays accaparé par les constructeurs étrangers qui occupent près de 70% du marché. Pour développer son industrie, il leur demande de s'associer avec un constructeur national. C'est le principe des coentreprises qui accouchent systématiquement d'une marque exclusive au marché chinois (voir autre texte). Le but ultime est de voir les constructeurs chinois détenir la moitié du gâteau d'ici trois à cinq ans.

«Il y a un certain contrôle du gouvernement, c'est vrai. Mais c'est le plus gros marché au monde et c'est très compétitif», concède Kimiyasu Nakamura, PDG de Dongfeng Motor, coentreprise du japonais Nissan et du chinois Dongfeng Group.

Être orientée par le gouvernement et propulsée par la croissance économique (7,5% cette année) est à la fois un atout et une faiblesse pour cette industrie.

«La croissance est liée aux investissements du gouvernement. Si ceux-ci sont moins importants, le marché automobile va le ressentir», explique Yale Zhang, directeur général du cabinet d'analyses chinois AutoForesight.

Le gouvernement chinois veut à la fois favoriser son industrie automobile et régler les problèmes environnementaux générés par ce secteur d'activités. Problème, ses constructeurs ne sont pas de taille pour répondre aux standards de consommation d'essence et d'émissions de gaz. «Les constructeurs nationaux ont des problèmes techniques (moteurs, châssis, systèmes antipollution). Ils sont dans des catégories bas de gamme, ils ne sont pas capables de faire dans le haut de gamme encore», dit David Sun, directeur général Auto de la maison de sondages et d'analyses Ipsos Chine.

Les coentreprises, de leur côté, doivent séduire un consommateur chinois de plus en plus averti et exigeant. Elles produisent souvent des modèles locaux qui ne sont que des productions internationales «rebadgées». Le client voit bien par exemple que la Li Nian S1 ressemble à une Honda...

Trafic et smog

L'automobile est très populaire auprès d'une population de plus en plus urbaine. Le centre-ville de Pékin a du mal à respirer. Bouchons et smog sont le lot quotidien des automobilistes et des piétons. Il y a presque un véhicule pour trois habitants dans la mégapole de 20 millions d'âmes. Conséquence: les propriétaires d'autos doivent obligatoirement laisser leur véhicule à la maison une journée par semaine. Et il faut une permission pour pouvoir acheter une voiture.

La saturation du trafic ne risque-t-elle pas de freiner la croissance du marché ou d'inciter le gouvernement à intervenir? «Je ne pense pas que le gouvernement chinois changera d'orientation dans les cinq à dix prochaines années en matière de développement de l'automobile», estime Kevin Wale, PDG de General Motors Chine.

Il s'attaque tout de même à la pollution en favorisant l'essor de véhicules propres. L'enjeu n'est pas seulement écologique, il est également économique. Lors de notre passage à Pékin le mois dernier, l'essence se détaillait 8,33 yuan le litre (1,30$) alors que le revenu moyen annuel est de 10 000$.

«Son prix ne fait qu'augmenter et il va continuer à augmenter», dit Yale Zhang.

Si les automobilistes chinois ont - presque - les mêmes problèmes que les automobilistes nord-américains, leur industrie automobile n'en est par contre qu'à ses débuts. Trop occupés à améliorer leur capacité de production en Chine, les constructeurs étrangers n'exportent pas leurs voitures made in China. Du moins, pas encore.

Certains signes annoncent l'arrivée des produits chinois sur le marché nord-américain. Le constructeur BYD est le plus entreprenant. Ses autobus électriques vont être essayés cette année à... Windsor, en Ontario. Il veut construire une usine sur le continent. Avant d'y vendre à terme sa berline e6, une voiture électrique.

L'avenir appartient-il à la Chine? À ce rythme, cela ne saurait tarder.

Photo AP

Les Chinois ont accédé très tardivement et brutalement à l'automobile. Leur engouement pour la voiture est difficile à canaliser.

LE POTENTIEL CHINOIS EN CHIFFRES

Sa population

> 1,363 milliard d'habitants.

> L'agglomération de Pékin compte 20 millions d'habitants.

> Plus de 100 villes de plus de

5 millions d'habitants.

> 160 villes de plus de 1 million d'habitants.

> Plus de 1,1 million de millionnaires (en dollars US) en 2011.

Ses automobilistes

> Le nombre de véhicules en circulation correspond à 6%

de la population chinoise.

> On estime qu'entre 1,3% et 1,7% des Chinois possèdent leur propre voiture.

> 43% des acheteurs d'autos en 2011 sont nés dans les années 80.

Ses constructeurs

> Plus de 30 constructeurs automobiles chinois.

> Les constructeurs étrangers occupent près de 70% du marché.

> 95% des constructeurs étrangers ont une coentreprise avec

un constructeur chinois.

> Taxes sur les véhicules importés: 25%.

Son marché automobile

> 18,5 millions de véhicules vendus en 2011, dont 12,2 millions

de voitures.

> 12,8 millions de voitures seront produites en Chine cette année.

> Parts de marché par constructeur: Volkswagen (19,7%), GM (10,5%), Hyundai (8%).

> Parts de marché par marque: Volkswagen (15%), Nissan (6%), Toyota (5,8%).

Sa croissance

> Prévisions de croissance économique de 10 à 15% en 2012 dans les provinces du centre et de l'ouest du pays. Moins de 10% pour Pékin.

> Prévisons de croissance du marché automobile entre 8% et 12% en 2012.

Sources: AutoForesight, Ipsos China, VW Group

Photo Reuters

Numéro un dans le haut de gamme depuis 2007, Audi a vendu en Chine plus de 310 000 voitures l'an dernier et ambitionne de doubler ses ventes d'ici à 2015.