En cédant son auréole qu'était Aston Martin à un consortium privé au sein duquel on retrouve notamment l'ancien patron de l'écurie BAR de F1, David Richards, Ford a laissé partir ce qu'elle avait de plus précieux. Pour une poignée de dollars, le constructeur américain s'est départi d'une marque qui pourrait bien, à plus ou moins brève échéance, rejoindre Ferrari sur le podium des voitures sport et Grand Tourisme les plus désirables du monde.

C'est du moins l'impression que j'ai eue en prenant le volant du dernier joyau de la marque, la DBS. C'est, de très loin, la meilleure Aston Martin jamais construite, une opinion qui n'est pas le fait d'une brève randonnée en rase campagne, mais d'essais intensifs aussi bien sur route que sur piste. J'ai vécu quatre jours et 1000 km de pur bonheur au volant de ce coupé deux places qui prend la relève de la Vanquish au sommet de la gamme du petit constructeur britannique.

Mon coup de coeur pour la DBS tient non seulement à sa beauté, mais aussi à l'absence chez elle de fautes majeures. Pourtant, tout en les trouvant irrésistibles, je n'avais jamais vraiment craqué pour une Aston Martin. Je les trouvais fragiles, sujettes aux bruits de caisse et d'une fiabilité aléatoire. J'ignore ce qui attend la nouvelle DBS à ce dernier chapitre, mais elle semble sur la bonne piste.

La qualité maîtresse de cette Aston est son châssis solidifié par l'utilisation d'aluminium, de magnésium et de fibre de carbone, des matériaux qui trouvent également place dans la carrosserie, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. En faisant appel à de telles composantes, la DBS prêche la légèreté, et, si l'on tient compte des disques de freins en céramique carbonés, l'économie de poids atteint les 60 kg. Au volant, il en résulte une tenue de route sublime et une rigidité qui, sur des revêtements délabrés, sont égales, sinon supérieures, aux normes allemandes en la matière.

Bref, c'est du solide, un mot dont l'industrie automobile anglaise ne connaissait sans doute pas la signification avant aujourd'hui. Je blague, bien sûr. Certains disent que les Aston commencent à avoir un air de famille trop prononcé, ce qui est à demi vrai, puisque la DBS est une parfaite réussite au plan aérodynamique. Témoin, cette façon dont les prises d'air et les galbes fluides s'intègrent au design sans jamais le mutiler.

EN AVANT LA MUSIQUE

La fête commence dès qu'on a inséré la clef surmontée d'un saphir (1500 $) dans la petite fente de la console centrale. Il suffit de la pousser pour entendre les premiers accords du V12 de 6 litres à quatre arbres à cames en tête qui réside sous le capot en position centrale avant. Il s'agit d'une version assagie du moteur de plus de 600 chevaux utilisé dans les DBR9 de compétition.

Sur appel de l'accélérateur, ses 510 chevaux suffisent à vous enfoncer vigoureusement dans votre siège tout en faisant entendre une symphonie qui ne déplairait pas à l'oreille d'un mélomane averti comme Claude Gingras. Sous le capot encore, on admirera la barre anti-rapprochement, qui contribue elle aussi à la belle tenue en virage de cette Aston. Détail anodin sans doute, il est arrivé à quelques reprises au moment de fermer le contact que la précieuse clé s'extirpe vivement de son logement pour venir choir sur la belle plaque d'aluminium qui encercle le levier de vitesses, y laissant de déplaisantes égratignures.

En plus, selon l'angle du soleil, cette même plaque crée un effet miroir, causant des reflets aveuglants pour le conducteur. Parions que cette lacune sera corrigée rapidement. À cause d'abus antérieurs, dont un rôle de doublure dans le dernier James Bond, l'embrayage de ma voiture d'essai était en fin de course et difficile à moduler. Cela dit, le couple arrive en trombe autour de 3000 tours/ minute et il suffit de 2,4 secondes pour être catapulté de 80 à 115 km/h.

En début de production, seule la boîte manuelle à six rapports sera offerte, mais on aurait tort de s'en plaindre tellement son maniement est aisé. À vrai dire, je suis un peu las des boîtes robotisées, et c'est une mode qui, à mon avis, tire à sa fin. La suspension multimode propose automatiquement cinq réglages différents, chacun correspondant à divers paramètres liés à votre façon de conduire. Il y a même un bouton pour la conduite sur piste (track), celui que je me suis empressé d'enfoncer avant de m'engager sur le circuit du complexe ICAR à Mirabel. Malgré quelques sauts de mouton causés par les joints d'expansion après le premier virage, la DBS s'est montrée bourrée de talent après sept ou huit tours de piste.

La direction permet de découper les virages au centimètre près, les accélérations en seconde sont foudroyantes, tandis que la tenue de route ne cesse de surprendre. Dans les longs virages à vive allure, il suffit de maintenir l'accélérateur à demi enfoncé pour voir l'arrière s'adonner à un pas de survirage tout simplement jouissif. Pour négocier l'épingle, il faut y aller d'un freinage en catastrophe afin de ralentir de 200 à environ 50 km/h en quelques mètres.

C'est ici que l'endurance et l'efficacité des immenses disques céramique et carbone enfermés dans leurs roues de 20 pouces sont impressionnantes. Contrairement à une Maranello 575 essayée le jour précédent, le tangage m'a semblé mieux contrôlé et l'arrière a moins tendance à s'affaisser sous l'effet de fortes accélérations.

UN HABITACLE RICHEMENT POURVU

Une fois de retour dans la civilisation des contrôles radar, le débranchement du mode « course » de la suspension se traduit par un amortissement beaucoup plus souple qu'on note sans tarder. Le confort a alors droit de cité même si la voiture est un peu bruyante à une vitesse de croisière.

L'habitacle étale sa galerie de matériaux raffinés avec un pavillon et des contre portes habillés d'Alcantara, une sellerie surpiquée, des boutons en aluminium véritable et, comble de tout, de la vraie fibre de carbone dans les accoudoirs ainsi que sur la console centrale. Quelqu'un a déjà dit que la Porsche 911 était une voiture adorable justement à cause de ses petits défauts.

On peut en arriver au même constat avec la nouvelle Aston Martin DBS ; elle vous donne un tel agrément de conduite qu'on arrive à lui pardonner ses petits travers, comme le bouton de mise en marche du moteur qui ne fonctionne pas toujours du premier coup, l'emplacement ultrasecret du bouton servant à déverrouiller la trappe du réservoir d'essence, l'illisibilité des petites fenêtres d'information situées dans les cadrans principaux tout comme la complexité du GPS et de ses nombreux complices.

D'autres seront dérangés par des « anglaiseries » tels les boutons de lave-glaces qui fonctionnent à l'envers du bon sens (vers le haut pour abaisser les vitres et vers le bas pour les remonter), l'aiguille du compte-tours qui tourne vers la gauche ou les lave-phares qui débitent autant d'eau que les chutes du Niagara.

Tout cela vous rappellera qu'il s'agit bel et bien d'une voiture anglaise, avec ses grandes qualités et ses petites incommodités.

Cet essai est tiré du livre L'auto 2009, disponible à La librairie.

Aston Martin DBS 2009

Couverture du livre L'Auto 2009 des éditions La Presse.