Les hausses des prix du pétrole et de l'essence durant la dernière année ont frappé les automobilistes nord-américains. Plusieurs craignent maintenant qu'un accident ou un incident géopolitique ne fasse soudainement exploser les prix au-delà des limites imaginables.

Et si l'Iran provoquait la fermeture du golfe Persique avec des attentats terroristes en mer? Et si la Russie fermait les robinets dans le cadre de son bras de fer avec l'OTAN et les États-Unis? Ou alors, le Venezuela de Hugo Chavez? Et que dire des ouragans qui ont, en 2005, pratiquement arrêté la production dans le golfe du Mexique?

Pour apaiser les inquiétudes, le président George W. Bush a récemment annoncé qu'il doublerait la réserve stratégique américaine de pétrole. Mais la décision a au contraire jeté de l'huile sur le feu: si la réserve actuelle est inadéquate, cela veut-il dire que les automobilistes sont à un cheveu du désastre?

Un politologue texan vient de lancer un appel au calme. Dans un essai publié par le New York Times, Eugene Gholz, de l'Université du Texas à Austin, soutient que les réserves américaines et européennes de pétrole sont amplement suffisantes pour faire face à une crise. D'autant plus que toute crise serait nécessairement temporaire, vu les capacités techniques et militaires de l'Occident.

«Il y a dans le monde une quantité énorme de pétrole disponible pour les urgences», a expliqué M. Gholz en entrevue téléphonique. «Par le passé, elle était principalement au Moyen-Orient, surtout en Arabie Saoudite, qui avait des millions de barils par jour de capacité inutilisée. Elle se trouve maintenant dans des endroits beaucoup moins risqués et plus accessibles: d'immenses cavernes où sont entreposées les réserves de l'Occident.»

Les États-Unis ont 700 millions de barils, l'Europe 400 millions, les alliés asiatiques des États-Unis 400 millions, et la Chine prépare une réserve de 100 millions pour 2010. De plus, des firmes privées ont leurs propres réserves, qui dépassent le milliard de barils aux États-Unis seulement.

Les partisans d'une augmentation des réserves soulignent souvent que celles du gouvernement américain ne pourraient couvrir que 35 jours de consommation nationale. Mais, selon M. Gholz, ce calcul est erroné. «S'il y a une interruption de l'alimentation en provenance d'une région de la planète, elle ne dépassera probablement pas cinq à six millions de barils par jour, un peu plus de 5% de la consommation mondiale. Aucune des crises passées, mettant en cause l'Iran en 1979 et l'Irak en 1990, n'a été plus grande. On peut alors considérer que les réserves américaines à elles seules peuvent combler le trou pendant huit mois.»

Les risques géopolitiques sont de toute façon surestimés, selon M. Gholz. Le Venezuela, la Russie et l'Iran, croit-il, commettraient un «suicide économique» en interrompant leurs exportations de pétrole: l'impact sur leur économie serait autrement plus dévastateur que celui qu'un tel embargo aurait sur l'Occident. Rappelons que 80% des revenus du gouvernement iranien proviennent des ventes de pétrole.

Pour ce qui est d'un blocus du détroit d'Hormuz, à l'embouchure du golfe Persique, M. Gholz estime qu'il serait pratiquement impossible à réaliser à cause de sa largeur de plus de 30 km et que, de toute façon, les États-Unis et leurs alliés auraient tôt fait de réduire au néant la capacité de frappe iranienne. «On ne parle même pas de quelques semaines d'interruption, à mon avis. Durant la guerre Iran-Irak, les exportations des deux pays ont continué malgré des bombardements constants. Il est surprenant de constater la rapidité avec laquelle les ingénieurs peuvent remettre sur pied une raffinerie ou un terminal maritime.»

Pourquoi les politiciens sont-ils si alarmistes? Font-ils le jeu de lobbyistes secrets du complexe militaro-industriel? Sont-ils mal conseillés au point de vue technique? Ou alors tout simplement populistes?

«Les politiciens doivent proposer des solutions simples, explique M. Gholz. Ils ne peuvent pas expliquer à la population entière des concepts nuancés et complexes comme ceux que j'expose. Ils proposent une solution fondamentalement bonne: avoir des réserves plus importantes. Quant aux militaires, il est normal qu'ils pensent en fonction de crises possibles. Il revient aux analystes comme moi de déterminer quel est le point d'équilibre, à quel moment une bonne solution devient contre-productive.»