En 2006, la rue Bernard, dans le quartier du Mile End, à Montréal, a été complètement refaite. On a élargi les trottoirs entre l'avenue du Parc et le boulevard Saint-Laurent, et surélevé la chaussée aux intersections afin de ralentir les automobiles.

Pourtant, une association de parents qui réclame depuis plusieurs années des feux de circulation au coin de la rue Waverley, à mi-chemin entre deux autres feux éloignés de 150 mètres, continue d'affirmer que la Ville n'a pas répondu à ses inquiétudes quant à la sécurité des enfants qui fréquentent l'école Lambert-Closse, au coin des rues Saint-Urbain et Bernard. Malgré la présence d'un brigadier, ils ont toujours l'impression que les voitures ne les laissent pas passer.

Comment répondre aux demandes des citoyens? Qui a tort? Qui a raison? Les travaux de Lynda Bellalite, géographe à l'Université de Sherbrooke, permettent de mieux comprendre en général les enjeux de la cohabitation entre piétons et automobilistes.

«La première chose à faire, c'est de clarifier exactement les inquiétudes de la population locale, explique Mme Bellalite. La chose qui ressort, d'habitude, c'est la vitesse. Mais ce n'est pas nécessairement le problème principal. Très souvent, il faut aider la population à bien définir ce qui l'ennuie. Ça peut être un nombre trop élevé de camions, l'étroitesse de la rue, le débit de la circulation, un manque de visibilité. Il n'est pas facile de cibler exactement ce qui ne va pas. La vitesse est un coupable cité fréquemment, à tort ou à raison.»

Par exemple, Mme Bellalite a aidé à réorganiser la rue Galt Ouest, à Sherbrooke, où les résidants se plaignaient de la vitesse excessive. Les trottoirs ont été allongés aux intersections, à la fois parce qu'une rue moins large incite les automobilistes à ralentir, et pour réduire l'exposition des piétons à la circulation. La vitesse moyenne a diminué de 5 à 10km/h. Pourtant, le voisinage considère que le problème n'est pas réglé.

«On s'est rendu compte que ce qui indisposait les gens, c'est le nombre de camions. Quand ils représentent plus de 15% des véhicules qui passent dans une rue, les riverains sont inquiets. Même si un camion va généralement plus lentement qu'une voiture, quand il passe près d'un piéton, c'est une masse plus intimidante. Avant d'intervenir dans une rue, il faudrait toujours faire une évaluation précise du problème. Souvent, les gens eux-mêmes disent: Tiens, c'est vrai, on n'avait pas pensé que c'était ce qui nous dérangeait.'' Malheureusement, une telle enquête coûte cher, et les budgets de la voirie ne sont généralement pas assez élevés pour qu'on puisse la faire. C'est dommage parce qu'on épargnerait des interventions inutiles qui n'améliorent pas la qualité de vie des riverains.»

Un rapport publié par Mme Bellalite donne une autre idée du problème. Elle a analysé les réactions des automobilistes et des riverains à l'abaissement de la limite de vitesse à une quarantaine d'endroits dans de petites villes québécoises. On a comparé les statistiques de vitesse et d'accidents des cinq années précédant et suivant le changement. Le verdict: les piétons affirment qu'il n'y a aucune amélioration, mais ils tiennent tout de même au changement. «L'hypothèse que je fais est que la vitesse affichée sur le panneau correspond à leurs attentes en matière de sécurité, dit Mme Bellalite. À bien des égards, ils savent que le seul abaissement de la limite est inefficace. Aussi, de nombreux riverains ont proposé d'accroître la surveillance policière. Dans ce dernier cas, c'est surtout la présence des agents de police qui devient dissuasive et non le panneau de signalisation.»

Les comportements des automobilistes n'ont pas vraiment changé, mais il y a moins de véhicules très lents et très rapides. Cela augmente le nombre de véhicules qui se suivent de trop près, un phénomène courant en Amérique du Nord, selon Mme Bellalite.

Le nombre d'accidents a diminué, mais dans une proportion comparable à ce qu'a connu le Québec entier durant cette période. Et surtout, la baisse a accompagné une hausse de 250$ à 1000$ des dommages matériels qui rendaient un accident admissible à la base de données provinciale des accidents. Comme les deux tiers des accidents ne causent que des dommages matériels, cette hausse a artificiellement fait chuter le bilan routier.