Au cours des trois dernières années, General Motors, Ford et Chrysler ont essuyé des pertes totales de 70 milliards de dollars. Combien de temps pourront-ils encore tenir? Quelques mois? Quelques années?

L'industrie automobile va mal. Très mal. Elle s'achemine vers sa plus mauvaise année depuis la crise de 1991-1993. Selon le cabinet spécialisé Autodata, les ventes d'automobiles aux États-Unis, toutes marques confondues, ne devraient pas dépasser 14,5 millions d'unités au 31 décembre, alors que les capacités de production s'élèvent à 18,3 millions...

Tous les constructeurs en souffriront, mais certains plus que d'autres. L'industrie américaine surtout, même si elle s'est efforcée de revoir sa stratégie commerciale (ventes aux parcs de véhicules, rabais insensés et locations à long terme) et d'améliorer la qualité de ses produits. Bien qu'elle ait mis la hache dans ses coûts directs et indirects et diminué radicalement sa capacité de production, l'industrie automobile américaine roule sur des pneus crevés.

Pour en arriver là, il aura fallu un savant mélange d'inconscience et d'obstination de la part des trois anciens géants. Leur omnipotence les a empêchés de préparer l'avenir au moment opportun. Aujourd'hui, le réveil est brutal. Bien entendu, ils tenteront de réagir en proposant à leur clientèle des berlines plus économiques, mais avec quel argent? Et quand?

Aujourd'hui, il est facile d'écrire que GM, Ford et Chrysler ont longtemps eu de la difficulté à s'adapter au marché, mais l'Amérique lui envoyait-elle le bon signal? Les automobilistes américains sont trop longtemps restés insensibles aux problèmes de consommation du fait du bas prix de l'essence, très peu taxée. D'où l'impressionnant succès, jusqu'à ces dernières années, des très lourds et très gourmands 4×4 comme les Hummer et autres mastodontes du même genre. L'explosion du prix du brut a changé la donne. Les ventes des utilitaires et des camionnettes - qui à elles seules représentent 60% des ventes des constructeurs américains - se sont complètement effondrées.

Peter Hastings, analyste chez Morgan Keegan, est pessimiste. Interrogé par l'agence Bloomberg, il ne s'est pas montré rassuré par les propos des dirigeants des multinationales américaines. On peut le comprendre. General Motors disposait à la fin juin d'une trésorerie estimée à 21 milliards de dollars, mais il dépense chaque trimestre 3 milliards. À ce rythme, il ne tiendra que jusqu'en 2010. Chez Chrysler, c'est pire. Sans les 10 milliards de dollars injectés par Cerberus, le plus petit des constructeurs américains serait déjà en faillite. D'ailleurs, certains observateurs pensent que ce n'est qu'une question de temps. Chrysler pourrait même se placer volontairement sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites pour apurer ses dettes.

 

Quant à son actionnaire Cerberus, en plus des pertes de Chrysler, il doit éponger celles de GMAC, la filiale de crédit automobile de GM dont il a pris le contrôle, avec 51% du capital. Ford semble en mesure de recouvrer la santé plus rapidement, même si ses dirigeants ont déjà fait savoir que l'entreprise ne renouera pas avec les profits en 2009, contrairement à ce que laissait entendre son plan de restructuration initial. À sa trésorerie de 26,6 milliards à la fin juin s'ajoutent 11,5 milliards de marges de crédit négociées. Toutefois, la moitié de cette somme pourrait être engloutie dans les 18 mois à venir.

Cela laisse peu de temps aux constructeurs pour repenser - à bon marché - leurs gammes afin d'adapter l'offre aux attentes des consommateurs. GM veut désormais privilégier les véhicules plus compacts, plus légers et économiques. De même, Ford va reconvertir trois usines jusque-là consacrées aux utilitaires et aux camionnettes afin d'y produire des berlines, et il ajoutera à son portefeuille six modèles issus de sa gamme européenne. Quant à Chrysler, il intensifie ses pourparlers avec Nissan pour obtenir des véhicules moins énergivores. De belles et bonnes intentions, mais n'est-il pas déjà trop tard?