À quoi reconnaît-on le propriétaire d'une Jaguar? Aux taches d'huile qui maculent son entrée de garage... Il fut un temps - pas si lointain - où l'idée d'acquérir une Jaguar passait pour une preuve de courage.

On y voyait une sorte de geste humanitaire ou un profond attachement au patrimoine britannique. Ce temps est révolu. Prenez la nouvelle XF, sortie au printemps. Ce bel objet, chargé de prendre la relève de la S-type aux formes vieillottes, est la preuve qu'un grand cadavre à la renverse peut renaître en fringant conquérant. Son dessin, en rupture totale avec celui des Jaguar d'hier, lui permettra-t-il de briller sur le terrain des berlines de la haute, où le temps de survie des voitures banales est à peu près aussi long que les périodes d'ensoleillement de notre été?

La S-type est partie sans laisser de traces de pneus. Voici la XF avec sa silhouette signée Ian Callum -une première-, ex-styliste principal d'Aston Martin. Quoi qu'il en pense, la félinité de la XF ne saute pas aux yeux. Peu de têtes se retournent sur son passage, si ce n'est pour s'interroger sur le pays d'origine de cette auto. «Elle est japonaise ou américaine?» ont demandé certains «branchés». Nenni, elle est anglaise (et maintenant indienne, si l'on tient compte du pays d'origine de Tata, son nouveau propriétaire); c'est une Jaguar. «Pas vrai!» Et pourtant si.

Si Ian Callum a caché toutes les équerres qui se trouvaient sur les tables à dessin de ses collaborateurs, il reste à convaincre la clientèle, que l'on devine un peu frileuse, de dépoussiérer à son tour l'image qu'elle se faisait de ce constructeur. Ce faisant, ce sera moins «shocking» lorsque le moment sera venu d'ouvrir toutes grandes les portières...

Exit les boiseries à la Buckingham Palace, les petits fauteuils pour fesses serrées et l'argenterie clinquante. Place à une présentation plus contemporaine avec ses appliques fini aluminium. Que les traditionalistes se rassurent: il y a encore un peu de bois (mat), mais ça ne réchauffe plus l'atmosphère comme avant. Et il y a la haute technologie! On a envie de s'émerveiller en voyant ces paupières automatisées s'ouvrir pour permettre aux buses de ventilation de souffler le chaud et le froid, ou encore ce sélecteur de rapports qui prend la forme d'un bouton rotatif jaillissant de la console centrale au démarrage. De toute beauté. N'est-ce toutefois pas un pari un peu osé pour un constructeur dont le dossier de fiabilité comporte encore quelques taches?

Jaguar cherche-t-il à nous rassurer en indiquant que la XF ne reprend rien de la S-Type? Peut-être. Mais c'est sans doute pour dissiper le doute sur le fait que les deux ont un empattement commun. Cela dit, malgré le plongeon de la ligne de toit vers la lunette, le dégagement pour la tête est plus que raisonnable pour un adulte normalement constitué. En revanche, la place réservée aux jambes et aux genoux frise la limite du raisonnable pour une voiture aux dimensions aussi imposantes. Le coffre? Son ouverture est large et son volume, comparable à celui de ses rivales. Il est possible d'escamoter les dossiers de la banquette arrière pour augmenter la surface, mais il n'y a hélas rien à faire pour la hauteur, un peu juste pour des valises rigides.

À l'avant, par contre, on se sent bien. Les sièges sont confortables, le volant est volumineux comme on aime, et les nombreuses commandes sont suffisamment intuitives pour ne pas avoir à consulter le manuel du propriétaire toutes les cinq minutes. Ça nous change des Allemandes...

Jaguar sort l'artillerie lourde

Dans le passé - pensons aux anciennes XK8, par exemple-, Jaguar a souvent tout sacrifié aux apparences. Pas cette fois. Pour être en phase avec tout le reste, il fallait seulement glisser sous cette robe des jambes et un coeur solide. C'est le cas avec ce moteur V8 de 4,2 litres suralimenté par compresseur, qui pète le feu et crache 420 chevaux. Cette mécanique n'est pas tout à fait nouvelle, mais ses rugissements ne sont plus comme autrefois, étouffés par le bruit d'Electrolux que son compresseur mécanique émettait chaque fois qu'il entrait en action. C'est plus doux, plus fauve aussi, mais guère plus économique qu'avant, comme en fait foi la consommation enregistrée (voir tableau ci-contre).

Ce V8 engloutit aisément plus de 23 L/100 km en conduite soutenue et nous fait rapidement nous rendre compte que son réservoir ne lui assure pas une très grande autonomie En attendant un V6 dont on est sans nouvelles, il est recommandé d'opter pour les modèles dotés de la mécanique (toujours le même V8) à aspiration normale. C'est moins grisant et votre pompiste risque de vous faire la gueule, mais consolez-vous: le constat d'infraction n'en sera que moins cher.

Question performance pure, cependant, la XF a suffisamment de puissance pour ne pas mordre la poussière lamentablement lors d'un face-à-face ou, si vous préférez, d'un porte-à-porte sur une piste d'accélération. Un peu artificiel, le moteur fait preuve d'un couple abondant disponible en tout temps. Il se montre également d'une très grande douceur, même à haut régime. On voudra toutefois laisser la boîte automatique faire son travail plutôt que de perdre du temps à passer les rapports manuellement.

Si Ford, la société américaine qui en était propriétaire jusqu'à cette année, n'avait pas eu les poches aussi vides au moment de la genèse de ce véhicule, sans doute Jaguar lui aurait-il fabriqué un écrin en aluminium, comme à la XJ. Hélas, ce n'est pas le cas, et la XF frise les deux tonnes sans avoir pour excuse d'intégrer un rouage intégral.

Même si son poids et son gabarit limitent son agilité, la XF accepte un rythme rapide mais se hérisse dès qu'elle se sent maltraitée. Sur une route correctement asphaltée, la XF reste étonnamment digne. Avec ses bottes de sept lieues, il est vrai que l'anglaise a ce qu'il faut pour mordre le bitume.

Comportement routier

Si la puissance est une alliée de taille pour la XF, la voiture n'a hélas pas le comportement routier qui lui permettrait de s'afficher comme une authentique voiture sport. Elle est d'abord trop lourde pour se moquer des virages, et ses pneus n'arrivent pas à limiter le survirage qui se manifeste dès que l'on débranche les aides à la conduite. À grande vitesse, l'assistance de la direction est cependant bien dosée tandis que les freins se chargent de vous laisser sentir que la masse à stopper est considérable. Comprenons-nous: la XF tient bien la route en conduite normale et ne vous fera jamais peur tant que vous ne déciderez pas de faire disparaître le nom du fabricant sur le flanc de ses pneus.

Par ailleurs, la suspension pilotée assure un confort appréciable tout en éliminant les mouvements de caisse excessifs. La robustesse de la caisse sur mauvaise route donne à croire que l'on roule dans une voiture allemande.

Puisqu'il est question des allemandes, la XF a de quoi se défendre contre elles sur le plan des performances, et surtout sur celui du prix. En revanche, le fait qu'elle ne dispose ni d'un moteur plus sobre (lire avec deux cylindres en moins), ni d'un rouage intégral - pratiquement devenu la norme dans ce segment - ainsi que les vieilles taches à son dossier de fiabilité (et dans certaines entrées de garage) nuiront à court terme à sa diffusion. Souhaitons que son propriétaire actuel n'ait de Tata que le nom...