Parler souvent au téléphone en voiture permet-il de s'habituer à la distraction, et donc de diminuer le risque associé au portable au volant? Ces dernières années, deux psychologues ont croisé le fer sur cette question épineuse.

Dans le coin droit, un psychologue israélien qui affirme que plus on parle au volant, plus on s'habitue à la distraction. Dans le coin gauche, un collègue de l'Université de l'Utah qui considère que cette habitude ne vaut que pour les trajets bien connus. Il ajoute que, dès qu'il y a un imprévu dans ces trajets connus, la distraction causée par le téléphone cellulaire augmente le risque d'accident.

«Nous avons mesuré davantage de comportements que l'étude américaine, affirme David Shinar, de l'Université Ben Gourion. Je conçois parfaitement que certains des comportements que nous avons observés ne soient pas transférables d'une situation familière à un environnement nouveau. Mais cela ne nie pas le fait que l'exposition répétée au cellulaire au volant amène des apprentissages. Une foule d'études montrent qu'il est possible d'apprendre à combiner plusieurs tâches en s'y exerçant. Nous le faisons en conduisant et en pilotant des avions, et il n'y a aucune raison de croire que les portables sont un cas de figure différent.»

Balivernes, répond David Strayer, de l'Université de l'Utah. «Les effets de la pratique sont entièrement liés à la répétition du même scénario de conduite dans le simulateur. Il n'y a pas de réduction généralisée de la distraction que constituent les téléphones portables. Dès qu'il y a une nouvelle situation, les utilisateurs fréquents de portables sont aussi lents à réagir que les novices, par rapport aux automobilistes qui conduisent sans téléphone.»

Le psychologue israélien a conclu que cinq jours d'apprentissage permettent de réduire significativement - ou carrément d'éliminer - les principaux défauts de la conduite avec portable: variation de la vitesse, lenteur au freinage, louvoiement à l'intérieur de la voie. Son collègue de l'Utah a aussi observé que quatre jours de conduite au téléphone réduit l'écart avec le taux d'accidents des conducteurs sans téléphone. Mais il constate que les conducteurs au téléphone sont nettement plus dangereux quand on leur propose un itinéraire différent, même après quatre jours de répétition. «Quand ils ont l'habitude de parler en conduisant, les automobilistes réduisent moins leur vitesse que quand ils sont novices», note M. Strayer. Les deux ont utilisé des simulateurs de conduite.

La Presse a demandé l'avis de deux chercheurs de l'Université Laval qui tentent de mettre au point des logiciels permettant d'enseigner aux personnes âgées à mieux conduire en améliorant leur surveillance visuelle des alentours de leur voiture et des miroirs. Denis Laurendeau et Normand Teasdale ont affirmé qu'il était impossible pour un automobiliste de s'habituer à la distraction que constitue un portable. En d'autres mots, l'entraînement permettra peut-être d'améliorer le bilan des automobilistes du troisième âge, mais pas celui des amateurs de cellulaire.

N'est-ce pas contradictoire? «Non, si on considère que les faiblesses que doivent pallier les automobilistes âgés s'appliquent à toutes les situations de conduite», répond Anne McCartt, psychologue à l'Institut sur la sécurité routière, un organisme financé par les compagnies d'assurances américaines. «L'amélioration de l'entraînement se fera sentir partout. L'amélioration de l'attention chez les automobilistes qui parlent souvent au téléphone au volant se limitera toujours aux situations et aux itinéraires habituels.

 

S'il y a un imprévu, ils seront pris au piège. Je pense aussi que le risque du cellulaire réside surtout dans ces situations imprévues, alors que pour les personnes âgées, la conduite en général devient plus compliquée. Enfin, les personnes âgées vont souvent limiter leurs déplacements pour tenir compte de leurs capacités réduites. Chez les utilisateurs de portables, personne ne va modifier son itinéraire pour tenir compte de son risque accru d'accident.»

Le principal mérite de M. Shinar, selon Mme McCartt, est d'avoir utilisé des conversations réalistes. «En général, les expériences sur le cellulaire imposent des conversations beaucoup plus difficiles que la normale, dit Mme McCartt. Il faut tenir compte du fait que quand on parle au téléphone, en voiture ou ailleurs, ce n'est pas toujours pour conclure une négociation d'affaires serrée. Cela dit, comme Strayer a aussi utilisé des conversations réalistes, le verdict est nul.»