Il y a des lustres que les femmes ne s'inquiètent plus de la couleur de la carrosserie, de la présence d'un miroir de courtoisie sous le pare-soleil droit ou de la taille du coffre à gants. Et c'est tant mieux. Voilà sans doute l'une des raisons pour lesquelles l'automobile, contrairement aux patins et aux vélos, n'aura jamais de sexe. Alors, l'automobile, c'est masculin ou féminin?Et pourquoi pas les deux?

Séduire les femmes... Les constructeurs savent parfaitement que sur un marché automobile atone, la clientèle féminine est un public qu'il faut (aussi) stimuler. Et pour cause: aujourd'hui, un acheteur sur deux est une acheteuse, en plus d'être prescriptrice pour l'autre moitié... Huit fois sur 10, selon certaines études.

La femme a acquis les mêmes droits que les hommes en matière de bonne et de mauvaise conduite automobile. Et partage les mêmes attentes. Tout en voulant s'attirer les bonnes grâces de la gent féminine, les constructeurs craignent toujours de déraper. Voilà sans doute pourquoi l'industrie a renoncé à lui consacrer des modèles spécifiques, de peur de déplaire à l'autre moitié, mais aussi parce qu'elle n'en veut tout simplement pas. Sans doute est-ce là l'une des raisons qui conduisent les constructeurs à la prudence dans la recherche de voitures qui seraient tout particulièrement destinées aux femmes.

Contrairement à l'Amérique du Nord, le Vieux Continent semble plus ouvert dans ses communications automobile à l'égard des femmes, même si trop souvent l'opération séduction ne va guère plus loin que la création d'une série spéciale parée de teintes nouvelles. C'est peu, mais c'est assez, selon les bonzes de l'industrie automobile, qui craignent d'en faire trop et, du coup, de pratiquer une certaine forme de ségrégation. D'ailleurs, plusieurs études le confirment: les femmes détestent l'idée de véhicules qui leur seraient uniquement destinés. L'industrie a encore en mémoire la malheureuse expérience de Chrysler qui, dans les années 50, avait tenté de séduire le public féminin avec la Dodge La Femme, première voiture conçue expressément pour «sa majesté, la femme américaine moderne» (dixit Chrysler).

Pour mémoire, rappelons que les tissus et les garnitures de la Dodge La Femme étaient rose bruyère et que cette automobile était vendue avec un ensemble d'accessoires étonnants, dont un imperméable, un parapluie, un sac à main, un rouge à lèvres et un poudrier. Est-il bien nécessaire de rappeler que la Dodge La Femme ne répondait guère aux aspirations de la femme américaine des années 50. De fait, le constructeur américain retira la voiture du marché l'année suivante. 

 

Aujourd'hui, encore, la Dodge La Femme représente un classique pour les spécialistes du marketing: elle illustre à merveille ce qu'il ne faut pas faire lorsqu'on veut mettre en marché des produits destinés à la clientèle féminine. «Le marketing au féminin doit être transparent, et non pas rose», affirmait, il y a quelques années, dans une entrevue au Chicago Tribune, Martha Barletta, présidente de la firme The Trendsight Group de Chicago et auteure de Marketing to Women. Ce conseil, qui prend aussi la forme d'un avertissement, vaut toujours.

Qu'à cela ne tienne, l'industrie automobile entretient encore (dans les coulisses) certains clichés à l'égard des rapports entre la femme et son bijou mécanique. Synthétisons: les femmes aiment les petites voitures aux formes rondes. Que fait-on de celles qui achètent des Hummer, des Jeep ou des Mustang?

Alors, qu'est-ce que femme veut? Parmi les critères les plus souvent recherchés: la sécurité, la fonctionnalité et l'environnement. Mais n'est-ce pas aussi des critères recherchés par les hommes? Et de l'allure, de l'élégance? Même chose, nous - les hommes - en voulons aussi. Alors, nous voulons sensiblement la même chose, non? Il y a sans doute décalage dans les priorités, mais les critères sont grosso modo les mêmes. Comme bien des hommes, les femmes aussi considèrent la voiture comme un accessoire qui les représente. Elles ne sont pas (ou pas plus? - voyez comment l'auteur marche sur des oeufs) imperméables aux plaisirs de la conduite et au charme d'une 911 ou d'une Z4.

Même si cela ne conduira jamais à la création d'un modèle spécifique, il y a eu - et il y aura toujours - une écoute attentive des désirs féminins. D'ailleurs, l'industrie automobile aime à rappeler qu'elle porte aujourd'hui une attention toute particulière au dessin des poignées de porte, qui ne risquent pas de briser leurs ongles, ou des appuie-tête creusés de façon à ne pas déranger les coiffures en queue de cheval, et encore, à une foule d'autres innovations bébêtes. Par chance, l'époque de la Dodge La Femme est révolue.