La puissance sous le capot reste un indéniable argument de vente. Elle exerce une fascination pour la vitesse qui échappe à toute rationalité. Plaisir coupable ?

On aurait facilement pu imaginer que la conjoncture actuelle (le prix du pétrole, les lois plus contraignantes, le refrain apocalyptique, quoi !) et les conditions de circulation chaque jour plus difficiles auraient incité les constructeurs à lever le pied. Il n'en est rien.

 

Le Salon de l'automobile de Detroit, qui ouvrira ses portes dans une dizaine de jours, révélera au contraire la surenchère de puissance à laquelle tous les constructeurs participent sans exception. Y compris Rolls-Royce, dont la puissance autrefois « satisfaisante « de ses moteurs n'est plus du tout tenue secrète.

 

Comme c'est le cas depuis quelques années déjà, la visite du North American International Auto Show (NAIAS) relèvera une dichotomie (passagère) dans les messages selon que l'on se trouve à l'intérieur ou à l'extérieur du Cobo Hall (lieu de la première manifestation automobile de l'année).

 

Dans l'enceinte, on ne manquera pas bien sûr de me proposer le véhicule qui me permettra de me réaliser socialement et qui évoquera la liberté. On ne manquera pas non plus de me faire savoir combien de chevaux galopent sous le capot. Normal, il y a des voitures puissantes taillées sur mesure pour ceux - et celles - qui aiment l'automobile.

 

Et cette année, la présence au salon des Mustang Bullit, Corvette ZR1 et autres sportives dopées aux amphétamines ne manqueront pas de le rappeler. Il se trouvera bien quelque part une personne, un groupe, pour casser le party. Pour condamner cette escalade de puissance inévitable.

 

Combien goûteront aux vrais plaisirs de cette race sportive en perpétuelle rémission ? Dans le contexte actuel, bien peu. Pourquoi alors s'en offusquer ?

 

L'escalade de puissance ne s'arrête pas qu'aux véhicules d'exception, forcément plus spectaculaires. Tous les créneaux, de la sous-compacte à la camionnette, en passant par le cabriolet, participent à cette course effrénée.

 

À titre d'exemple, au cours des deux dernières décennies, la puissance a augmenté en moyenne de plus de 50 %. Sceptiques ? Combien produit actuellement le moteur d'une Civic ? 140 chevaux. En 1988 ? 92 !

 

Ça grimpe, mais il faut aussi savoir que la Civic et ses semblables sont au moins deux fois plus lourdes aussi. Ce qui fait dire à certains concepteurs que la recherche de la puissance ou de la vitesse n'est pas un objectif en soi, mais plutôt la conséquence des progrès de la technologie au sens large du terme.

 

Le rêve qui m'enveloppera à la sortie de cette exposition automobile de plus en plus surréaliste finira par déraper quelques coins de rue plus loin.

Niveler par le bas

Quand on me rappellera - à juste titre - que la vitesse - sur les routes actuelles - n'est plus de notre temps. Quand je prendrai véritablement conscience que les voitures dans les publicités circulent toujours dans un environnement inhabituel - dans des paysages grandioses - et non sur les artères congestionnés et souvent mal entretenues.

 

Alors on se demande pourquoi ne pas faire comme certains le souhaitent : nivelons par le bas. Combattons l'augmentation de la puissance. Pressons les législateurs d'intervenir. Après tout, ne sont-ils pas les premiers à mettre tout en oeuvre pour prévenir et réprimer les excès de vitesse? En outre, n'ont-ils pas exprimé l'intention, au cours des dernières semaines, de mieux encadrer ces publicités qui font l'apologie de la vitesse? Pourquoi ne pas prendre le problème à la base?

 

- Bridons les moteurs, dites-vous.

 

- Ils le sont déjà !

 

- Bridons-les davantage !

 

Excusez, mais au lieu de restreindre la puissance, ne devrions-nous pas plutôt militer en faveur d'une réduction du poids de nos véhicules ? Entre ces deux options, plusieurs préfèrent la première, c'est plus facile. La vitesse tue alors que le poids est un mal nécessaire... En fait, l'allègement trouve peu d'écho dans le public, réfractaire à cet argument, notamment pour le binôme « poids = sécurité « qui a la vie dure. Et il ne faudrait pas oublier le confort qui pèse lui aussi de tout son poids dans la balance. On n'arrête pas le progrès et on ne touche surtout pas à ce que plusieurs considèrent comme des avancées et des acquis.

 

Alors on fait quoi? Il est plus facile d'interdire que d'éduquer. Pourtant, la puissance n'a rien à voir intrinsèquement avec le danger. Il est moins risqué de mettre sur la route une Mitsubishi Evo (voir page 11) entre les mains d'un conducteur chevronné qu'une voiture mal équipée ou mal entretenue arrivant difficilement à la barre des 100 km/h, mais conduite par une personne n'ayant pas ou plus l'expérience de la route. Lorsqu'il sait conduire, le conducteur profite entre autres de la puissance pour réduire les risques d'accidents.

 

Mais l'heure n'est pas à la réflexion. Pas encore. Elle est plutôt à la fête des sens avec la saison des salons qui débute. Avec elle, pas de doute, nous pouvons encore rêver.