La redoutable Stutz Bearcat

La redoutable Stutz Bearcat

Nous sommes au début du XXe siècle. Harry Stutz (né en 1876) crée en 1903 sa première voiture de course dans un petit garage d'Indianapolis. En 1991, il inscrit son prototype de 6,4 litres aux 500 Milles d'Indianapolis et termine 11e, une performance remarquable pour une voiture qui venait de sortir d'usine. Encouragé par ce succès, Stutz continue d'inscrire ses voitures en course, remportant 25 des 30 épreuves auxquelles il participe. «La course est le moyen le plus rapide de promouvoir la réputation d'une marque», déclare Stutz, qui dévoile en 1914 la Bearcat, une voiture sport animée par un quatre cylindres de 6,4 litres. En 1916, Stutz crée un quatre cylindres à 16 soupapes, un des premiers moteurs multisoupapes, qui a droit aux louanges de la presse et du public.

Souhaitant agrandir son usine, Stutz émet des actions en Bourse, un geste qui lui sera ultimement fatal. En effet, l'entreprise tombe sous l'emprise de l'entrepreneur Alan A. Ryan, et Stutz quitte la compagnie trois ans plus tard. La production se poursuit sans le fondateur et en 1925, l'ingénieur belge Paul Bastien crée un huit cylindres en ligne de 4,7 litres qui anime la belle Black Hawk. Rapide à souhait, une Black Hawk se classe deuxième aux 24 Heures du Mans de 1929. Il faudra attendre 1966 pour qu'une voiture américaine puisse égaler une telle performance au Mans!

La crise économique des années 30 n'empêche pas Stutz d'innover encore en produisant un remarquable huit cylindres à deux arbres à cames en tête à quatre soupapes par cylindres, qui équipe la DV32 (Dual Valve). Mais, malgré ce raffinement technique, les ventes dégringolent à mesure que la crise se prolonge, et la société Stutz est liquidée en 1939, une triste fin pour le constructeur automobile qui aurait pu devenir le Porsche américain. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que la Bearcat, la plus célèbre des Stutz, compte parmi les 100 voitures les plus marquantes du XXe siècle.

L'incomparable Duesenberg

Friedrich (Fred) et August (Augie) Duesenberg sont nés en Allemagne et ont émigré aux États-Unis avec leurs parents. Très doués pour la mécanique et sans formation technique, les frères Duesenberg ont commencé par construire des vélos, puis une première voiture de course en 1904. Pendant la Grande Guerre, les Duesenberg ont produit des moteurs d'avions, puis sont revenus à l'automobile; ils ont créé en 1919 un 16 cylindres qui a permis d'établir à Daytona Beach le record mondial de vitesse, à 254 km/h.

Comme bien d'autres constructeurs de l'époque, les Duesenberg baptisent leur première voiture de route Model A. Vendue 6500 $ (une fortune en 1921), la Model A reflète le perfectionnisme de Fred. Elle remporte le Grand Prix de France en 1921 aux mains de Jimmy Murphy. Cette victoire est suivie de trois autres triomphes aux 500 Milles d'Indianapolis, en 1924, 1925 et 1927.

Mais la course ne nourrit pas toujours son homme, et les Duesenberg, plus doués pour la mécanique que pour les affaires, s'associent avec Errett L. Cord, qui demande aux frères de produire «la plus belle voiture au monde». La Duesenberg Model J, dévoilée en 1928 au Salon de New York, fait sensation. Avec son huit cylindres en ligne de 6,8 litres à deux arbres à cames en tête et 32 soupapes, la J est suivie en 1932 de la SJ (Supercharged J) à compresseur volumétrique, qui produit 320 chevaux et propulse la merveille de 2250 kilos à 225 km/h. En 1932!

À plus de 25 000 $ pour les versions les plus sophistiquées (le revenu annuel moyen d'un médecin est alors de 3000 $), les Duesenberg n'ont tout simplement pas d'égal tant pour le perfectionnement technique que pour la qualité d'assemblage et le luxe. Comme il se doit, vedettes et gens fortunés roulent en Duesenberg. Parmi eux, Gary Cooper, Clark Gable, Mae West et le duc de Windsor.

Fred Duesenberg meurt accidentellement en 1932 au volant d'une SJ, et la compagnie fondée par les deux frères cesse d'exister en 1937. N'empêche qu'aujourd'hui encore, une «Duesy» exerce un charme irrésistible et la seule vue des impressionnants tuyaux d'échappement chromés qui émergent du côté droit du long capot, tels de luisants reptiles, fait frémir les irréductibles de ces grands classiques. Et si la fièvre vous prend aussi et que votre portefeuille est bien garni, sachez que des 481 Model J et SJ produites entre 1928 et 1937, 384 existent encore. Quel meilleur témoignage de la qualité et de la durabilité de ces créations d'avant l'obsolescence planifiée, d'avant la médiocrité produite en grande série. D'avant l'automobile, simple moyen de transport.

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