(Avignon, France) Pari relevé pour Émilie Monnet au prestigieux Festival d’Avignon ! L’artiste québécoise d’origine anichinabée a reçu un accueil chaleureux lors de la première de sa pièce Marguerite : le feu, présentée vendredi au Théâtre Benoit-XII.

La représentation s’est terminée sans qu’il y ait ovation, mais sous des applaudissements nourris de la salle, pleine à craquer. Dans les conversations au sortir du théâtre, on entendait plusieurs des 430 spectateurs vanter l’importance du propos, même si certains semblaient déroutés par la forme performative du spectacle, qui ne suit pas une trame narrative linéaire.

La principale intéressée, de son côté, est sortie de sous les projecteurs en poussant un soupir de soulagement. « C’est fait, la glace est brisée, la première est passée. Tiago Rodrigues [président du Festival d’Avignon] était sur place et il m’a dit qu’il était content de nous accueillir ! »

Magda Bizarro, femme et collaboratrice de Tiago Rodrigues, était aussi présente à la première. « J’ai trouvé la pièce magnifique », a-t-elle dit à La Presse. Magda Bizarro a joué un rôle majeur dans la venue d’Émilie Monnet à Avignon. C’est elle qui a découvert la Québécoise lors d’un passage au FTA de Montréal en 2022. « C’était important pour moi d’inviter Émilie, car elle parle d’une question qui est peu présente dans les théâtres en France, soit la question de la colonisation en Nouvelle-France et de ses injustices. »

Un enthousiasme perceptible

Déjà avant la tenue de la première, la pièce Marguerite : le feu profitait d’un bel élan d’enthousiasme de la part de la presse française et des festivaliers. Pendant les jours qui ont précédé la représentation, la Québécoise a multiplié les entrevues : Télérama, France 2, Les Inrocks, RFI, France Culture. Elle a même été la seule artiste choisie pour figurer en une du journal spécialisé La Terrasse, un titre de référence pour les arts vivants en France distribué gratuitement aux quatre coins d’Avignon. Un exploit quand on sait que le festival historique d’Avignon (aussi appelé l’IN) accueille cette année 44 spectacles (dont celui d’Émilie Monnet) et que le festival parallèle (le OFF) en présente 1500 !

Intrigués par le destin de Marguerite Duplessis, cette esclave autochtone luttant pour son émancipation dans le Montréal de 1740, les festivaliers ont acheté les billets en grand nombre. Avant même que résonnent les échos de la première, les cinq représentations affichaient complet.

« C’est très positif. Je sens qu’il y a un réel intérêt pour poursuivre la conversation sur notre histoire et notre réalité », nous a expliqué Émilie Monnet dans un café ombragé au cœur du musée du Petit Palais à la veille de la première.

Pour l’artiste autochtone, la fierté est grande de venir raconter en sol français l’histoire de Marguerite Duplessis.

PHOTO PASCAL GELY, COLLABORATION SPÉCIALE

Émilie Monnet signe le texte et cosigne la mise en scène de la pièce Marguerite : le feu.

La France est le berceau du projet colonial en Amérique française. L’histoire de Marguerite fait partie de l’histoire de la Nouvelle-France, un terme qui est très peu connu ici.

Émilie Monnet

« On dirait qu’il y a un fossé qui s’est créé, un lien qui s’est déconnecté, comme si cette histoire leur était extérieure et ne concernait que le Québec », ajoute-t-elle.

D’ailleurs, dans le programme du spectacle, le Festival présente Marguerite comme « la première femme autochtone à entamer un procès contre le gouvernement québécois pour faire reconnaître sa nationalité et revendiquer sa liberté ». Or en 1740, année du procès, le Québec faisait encore et toujours partie de la Nouvelle-France. Ce n’est donc pas un hasard si toutes les requêtes juridiques faites par Marguerite s’adressent au roi de France !

PHOTO PASCAL GELY, COLLABORATION SPÉCIALE

L’interprète Tatiana Zinga Botao

Un fait qui n’a pas échappé aux interprètes, dont Tatiana Zinga Botao. Cette dernière insiste : « L’histoire de Marguerite, c’est aussi l’histoire des Français. Ce sont eux et les Anglais qui ont colonisé l’Amérique ! Je suis originaire du Congo, un pays colonisé [par la Belgique], et je suis très fière de porter la parole d’une personne asservie sur le territoire de ceux qui l’ont asservie, justement. »

On ne vient pas présenter un Molière à Avignon ! On vient raconter une histoire de femme forte qui se bat pour rester vivante, une histoire qui a quelque chose de politique.

L’interprète Tatiana Zinga Botao

Porter la parole de Marguerite

Pour Émilie Monnet, l’importance de jouer sa pièce en sol français va toutefois bien au-delà de ces considérations historiques. « Beaucoup de gens en France ne sont pas au courant de la réalité autochtone. Ils ont une vision stéréotypée de notre culture. Ce passage à Avignon me permet de montrer à quel point on est vibrants dans le monde d’aujourd’hui, de prouver que notre réalité n’est pas figée dans le passé.

« Je suis fière de penser à ce que ça peut ouvrir pour l’avenir, pour les générations d’artistes autochtones qui vont suivre. »

Émilie Monnet a choisi de présenter à Avignon un spectacle entièrement remanié depuis son passage à Espace Go au printemps 2022. Cette pièce chorale est passée de trois à quatre voix et la distribution a été grandement changée avec l’arrivée des actrices Anna Beaupré Moulounda et Tatiana Zinga Botao ainsi que de la danseuse d’origine wendate Catherine Dagenais-Savard. Cette dernière ajoute une dimension dansée très émouvante au propos, notamment avec une danse du châle flamboyante. La chorégraphe Mélanie Demers est aussi venue ajouter un peu de sa couleur à la mise en scène, au côté d’Angélique Willkie.

PHOTO PASCAL GELY, COLLABORATION SPÉCIALE

Une partie de l’équipe de Marguerite : le feu présente à Avignon. De gauche à droite : Émilie Monnet, Tatiana Zinga Botao, Anna Beaupré Moulounda, Angélique Willkie et Catherine Dagenais-Savard.

« Il y a eu beaucoup de changements. Comme l’invitation du festival est arrivée juste avant Noël, il a fallu tout remonter en un rien de temps. Tout s’est fait en accéléré. Mais on ne dit pas non à Avignon ! »

La danseuse Catherine Dagenais-Savard a eu la même réflexion lorsque Émilie Monnet l’a appelée pour lui offrir de faire partie de l’aventure. « J’ai eu une opération chirurgicale à un genou et il y a quatre mois encore, je n’arrivais pas à danser. Mais je voulais tellement participer à ce projet ! Lorsque j’ai vu la pièce à Espace Go, j’ai été très interpellée par le texte, l’histoire. J’ai dit à mon père, qui m’accompagnait : c’est ce genre de spectacle que je veux faire ! »

Un agenda chargé

Lors de ce 77Festival d’Avignon, Émilie Monnet participera à plusieurs évènements, dont une lecture de sa pièce Okinum et une conférence d’autrices. Elle va aussi multiplier les rencontres avec les diffuseurs présents, rencontres qui pourraient ouvrir de nouvelles portes à Marguerite : le feu et à sa créatrice.

« Je sais qu’Avignon va représenter une marche importante dans mon parcours. Je suis une autodidacte ; j’ai commencé à faire du théâtre il y a 10 ans à peine. Je n’ai pas l’expérience des grands metteurs en scène. Pourquoi c’est moi qui me retrouve à Avignon ? C’est Marguerite qui a provoqué tout ça ! Et ça se construit sur ceux et celles qui ont été là avant moi. »

Le jour de la première, dans la cour du cloître Saint-Louis, sous un platane qui devait être centenaire tellement il était majestueux, Émilie Monnet a participé à un Café des idées où elle a répondu aux questions de l’animatrice Olivia Gesbert. Lorsque cette dernière lui a demandé ce que le théâtre pouvait ajouter à l’histoire de Marguerite, la réponse n’a pas tardé : « Le théâtre peut apaiser la mémoire des ancêtres et offrir une guérison. »

Au milieu des vieilles pierres « porteuses de mémoire », l’artiste québécoise aura aussi réussi à toucher le cœur des spectateurs et à ouvrir au passage quelques consciences sur une réalité occultée par les livres d’histoire, celle de l’esclavage en Nouvelle-France. Comme le disait si bien Magda Bizarro : « Après avoir vu ce spectacle, les Français vont devoir repenser leur histoire… »

Consultez le site du festival

Le Festival d’Avignon en bref

Le Festival d’Avignon est considéré comme le plus important festival consacré aux arts vivants sur la planète.

Fondé en 1947 par Jean Vilar, le Festival a accueilli au cours des ans de grands noms du théâtre puis de la danse, comme Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Philippe Noiret ou Maurice Béjart.

Du 5 au 22 juillet, 44 spectacles sont présentés cette année dans quelque 40 lieux, dont la cour d’honneur du Palais des papes.

L’OFF Festival, qui propose cette année plus de 1500 spectacles de théâtre, d’humour ou de musique, s’est ajouté à la fin des années 1960.