Insoutenables longues étreintes est la quatrième pièce du Russe Ivan Viripaev présentée au Prospero, mais la première mise en scène par Philippe Cyr en tant que directeur artistique du théâtre de la rue Ontario. Mission accomplie !

Ivan Viripaev vit maintenant en Pologne. Ses textes sont désormais interdits en Russie puisqu’il a demandé aux autorités du pays de Poutine de verser ses droits d’auteur à un Fonds d’aide pour l’Ukraine. Irrévérence, dites-vous ?

Ses créations s’en nourrissent, frôlant parfois le cynisme. Dans Insoutenables longues étreintes, entre New York et Berlin, quatre personnages trentenaires s’entrechoquent : la Polonaise Monica, le New-Yorkais Charlie, la Serbe Amy et le Tchèque Christophe.

Ils et elles mangent végan et boivent beaucoup, partagent une quête d’absolu entre Dieu et le cosmos, et baisent à qui mieux mieux. Chez Viripaev, toutefois, le sujet de la pièce ne se trouve jamais dans le vocabulaire sexuel cru ou encore dans l’abus de substances illicites, mais dans les révélations, y compris celle d’une certaine spiritualité, que leurs actions délétères permettent paradoxalement de faire émerger.

La vie d’anges déchus, que sont ces personnages, s’avère un enfer sur terre.

Ce n’est qu’en se retirant en eux-mêmes et en retrouvant une impulsion originelle qu’ils et elles finiront par toucher, au bord du trépas, à une souhaitable paix, ou du moins, comme exprimé en chœur, à la tendresse.

PHOTO MAXIM PARÉ FORTIN, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Scène d’Insoutenables longues étreintes

Armés de vêtements à paillettes comme des starlettes de musicals, les protagonistes déambulent sur un plateau tournant sur lui-même et devant un immense fond de scène capitonné qui fait penser à une tête de lit, mais qui pourrait aussi renvoyer aux murs sécuritaires d’un asile de fous.

Monica, Amy, Charlie et Christophe en ont parfois l’air. Les voix, qu’ils entendent dans leur cerveau ou qui pourraient venir d’une autre galaxie, tirent alors le récit vers le fantastique. Ce climat étrange est souligné notamment par les faisceaux lumineux de Cédric Delorme-Bouchard.

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Scène d’Insoutenables longues étreintes

Leçon de théâtre

Le metteur en scène Philippe Cyr donne ici une leçon de théâtre contemporain. Le jeu est le plus souvent distancié (Brecht), mais à de rares moments très ressenti (Stanislavski), puis plus impressionnant encore, parfois d’une grande expressivité physique (Grotowski) et d’une exigence d’ensemble presque cruelle (Artaud).

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Simon Lacroix, Joanie Guérin, Marc Beaupré et Christine Beaulieu dans une scène d’Insoutenables longues étreintes

Les formidables interprètes Christine Beaulieu, Marc Beaupré, Joanie Guérin et Simon Lacroix réussissent à exécuter la commande tout en livrant un texte luxuriant.

Entre autres, lorsqu’ils et elles jouent deux personnages à la fois et, lors des scènes finales, en usant de contorsions pour évoquer les longues étreintes.

Le spectacle fait rire et sourire. La mise en scène maintient savamment un équilibre entre un certain glamour risible, des remises en question existentielles profondes et des répliques descriptives carrément surprenantes. Si bien que le public se trouve souvent assis entre deux chaises, amené lui aussi à se fondre dans les élans nouvel-âgeux du récit.

Une fausse fin, petit bémol, précède la vraie, redisant quelques répliques futiles à notre avis. Avouons du même coup que la stratégie des pièces de Viripaev reste de manier le propos très sérieux lancé avec une fausse insouciance.

Ici aussi, il semble nous dire, au diapason des artisans de cet excellent spectacle, qu’il ne faut rien prendre au sérieux, suggérant, sourire en coin, d’avoir une petite pensée pour la vie dans l’au-delà. On ne sait jamais.

Consultez le site du Prospero
Insoutenables longues étreintes

Insoutenables longues étreintes

Texte d’Ivan Viripaev
Traduction de Galin Stoev et de Sacha Carlson
Mise en scène de Philippe Cyr

Au Théâtre Prospero, Jusqu’au 22 avril

8/10