Eugène a 24 ans. Il consomme de la porno depuis qu’il en a 16. Et, malgré son jeune âge, tenez-vous bien, il a des problèmes érectiles. Le pire : il est loin d’être seul. Un documentaire présenté à l’émission Doc humanité fait le point.

« On va se dire les vraies affaires... » Le ton adopté par La grande débandade, offert sur Tou.tv et Amazon Prime, et diffusé à 22 h 30 sur ICI Télé le 30 mars, est volontairement direct, complice, par bouts carrément léger, même si le propos est loin de l’être. Alternant entre dessins animés et témoignages, on suit, pendant une petite heure assez dense merci, le même Eugène dans sa quête pour comprendre le phénomène qui l’accable.

Confidences

Saluons le courage du jeune homme (aujourd’hui en couple, même papa, nous a-t-on chuchoté tout bas, comme quoi oui, bonne nouvelle, on s’en sort !), qui a osé dire tout haut ce que plusieurs jouisseurs solitaires cachent bien bas : « je ne bande pas ! », paraphrase la réalisatrice de ce documentaire au titre si bien choisi, Karina Marceau, en félicitant son équipe d’avoir mis la main sur un « casting » aussi parfait.

Pensez-y : cet Eugène est jeune, beau gosse, il a un boulot, plein d’amis, bref, tout pour lui (sauf vous savez quoi). Et, on l’a dit, non seulement il n’est pas seul, mais aussi il y en a de plus en plus comme lui.

Il faut l’entendre raconter sa toute première expérience sexuelle, en chair et en os (« je suis arrivé comme un taureau ! »), expliquer son stress de performance, sa maladresse et, au bout du compte, son échec. Inversement, devant son écran, « je ne m’en cache pas, j’avais un certain réconfort ! ». Dur de faire plus éloquent.

Entre autres chiffres alarmants lancés ici : 88 % des jeunes garçons de 3e secondaire et 40 % des jeunes filles du même âge consomment de la pornographie ; et pour la plupart, plusieurs fois par mois.

Plus de 25 % des hommes disent même avoir des troubles de l’érection, selon différentes études citées. D’après une étude américaine de 2012 (oui, ça date, imaginez aujourd’hui !), 8 % des jeunes Américains consommeraient également du Viagra ou tout autre substitut (de contrefaçon).

Et le chiffre le plus inquiétant vient de la sexologue Stéphanie Houle, qui mentionne voir des enfants de 6 ou 7 ans ayant des problèmes de dépendance à la porno !

Comment est-ce possible ? Par les biais de pop-ups en tous genres, trop d’enfants sont confrontés à des images (et des sons !) non sollicitées, explique-t-elle, qui génèrent malgré eux des émotions très fortes. « Et la dépendance s’installe très rapidement... »

Experts en tous genres, une sexologue, donc, mais aussi une chimiste, un urologue, un producteur et même un acteur porno interviennent à la caméra, pour dresser un portrait complet d’un phénomène virtuel dont on parle certes beaucoup, mais dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences réelles.

Invitation au dialogue

De plus en plus de jeunes hommes aux prises avec des troubles érectiles ? Même si l’affirmation semble « contre-intuitive », explique en entrevue la scénariste et réalisatrice Karina Marceau, « c’est le symptôme d’un enjeu beaucoup plus profond : [...] l’imaginaire sexuel virtuel versus la réalité. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Karina Marceau

Concrètement, « les jeunes commencent à consommer de la porno vers 10-11 ans, explique-t-elle, mais l’âge de la première relation sexuelle reste le même, autour de 17 ans. Si bien qu’ils se retrouvent plusieurs années à consommer des codes pornos. Quand ils atterrissent dans le monde réel, ces jeunes-là sont perdus ! »

À noter que le documentaire ne démonise pas ici la pornographie (« on est une maudite gang ! », rappelle gentiment une voix à la narration). « On n’est pas contre la porno. On invite au dialogue », nuance la réalisatrice. Son souhait ? Que ce documentaire soit visionné en famille et serve de porte d’entrée vers une franche conversation. Disons que les bons sujets à débattre, du rôle du cellulaire à l’anxiété de performance (au masculin comme au féminin), en passant par les standards irréalistes véhiculés, et surtout l’âge de plus en plus précoce de la première consommation, ne manquent pas.

Le documentaire se clôt d’ailleurs sur cette note d’espoir, rappelant qu’« un projet de loi fédéral vise à porter des accusations de nature criminelle contre les entreprises qui rendent accessible à des mineurs du matériel sexuellement explicite ».

À 22 h 30, à l’émission Doc humanité, à Radio-Canada. Également offert sur Tou.tv.