La première fois que Jean-Luc Kanapé a vu une harde de caribous forestiers, il leur a promis d’être leur porte-voix. Ils sont aujourd’hui plus menacés que jamais par les coupes forestières. Son engagement pour la protection de ces bêtes, de tout un écosystème et d’une partie importante de la culture innue est au cœur du beau documentaire Atiku.

Des caribous forestiers vivent désormais dans de vastes enclos mis en place en milieu naturel par le gouvernement du Québec pour assurer leur protection. L’espèce est en effet en dangereux déclin dans plusieurs régions. « Ça me fait penser à notre histoire », dit doucement Jean-Luc Kanapé, au début du documentaire Atiku, gardien du territoire, dont il est le personnage principal.

Les Innus, comme d’autres communautés des Premières Nations, ont été enfermés dans un enclos eux aussi : les réserves instaurées par le gouvernement fédéral. L’effet fut dévastateur pour leur mode de vie, leur culture et leurs langues. Voir les caribous forestiers mis en « prison » n’est rien pour le rassurer.

L’ancien chasseur, que les réalisateurs Guillaume Langlois et Nicolas Lévesque ont suivi au Pipmuacan, territoire ancestral des Innus de Pessamit, communauté à laquelle Jean-Luc Kanapé appartient, estime qu’il faudrait « trouver des solutions plus intelligentes » qu’enfermer les caribous pour les protéger. Comme arrêter de couper autant d’arbres dans les forêts anciennes qui servent d’abri et de garde-manger à ces cervidés.

Le gouvernement du Québec a maintes fois reporté sa « Stratégie caribou », initialement promise pour 2019. Pendant ce temps, la menace qui pèse sur cet animal s’intensifie. Des hectares d’arbres continuent d’être coupés dans ses aires naturelles de fréquentations. Un non-sens aux yeux de celui qui se qualifie de « gardien du territoire ».

Voir la forêt autrement

Jean-Luc Kanapé ne voit pas une ressource économique à exploiter quand il regarde une forêt. Il voit un écosystème complexe et fragile, qu’il prend soin de montrer et d’expliquer à la caméra des documentaristes. Ici, la pouponnière des caribous. Là, leur garde-manger, c’est-à-dire des lieux riches en lichens qui ne poussent que dans les forêts anciennes et qu’on ne reverra pas de sitôt dans celles régénérées après une coupe commerciale.

IMAGE TIRÉE DU FILM

Il est beaucoup question de transmission dans le documentaire de Guillaume Langlois et Nicolas Lévesque.

En le suivant à la trace dans les chemins forestiers ou en raquettes, on apprend à voir la forêt à travers ses yeux à lui. À comprendre un peu mieux que la stratégie de reforestation a ses limites. Que les dommages faits à l’environnement ne font pas que détruire l’habitat des caribous, ils favorisent aussi les déplacements de ses prédateurs. Les loups se font en effet de plus en plus nombreux au Pipmuacan, remarque d’ailleurs Jean-Luc Kanapé.

On comprend aussi qu’en cherchant à protéger ce territoire, que les Innus appellent Nitassinan, c’est aussi les humains qu’il cherche à protéger. Les siens, bien sûr, dont la survie et la culture ont été liés à une bonne compréhension et une bonne gestion des ressources offertes par la nature, mais aussi tous les autres, puisque nous dépendons tous de l’environnement dans lequel nous vivons.

Guillaume Langlois et Nicolas Lévesque abordent des questions complexes et fondamentales dans ce film pourtant empreint de calme et de beauté. Avec finesse et délicatesse, ils ne forcent pas seulement à se demander ce qu’on est en train de faire au caribou et à la forêt québécoise, mais aussi ce qu’on laissera à ceux qui viendront après nous.

En première mercredi à 20 h, à la Cinémathèque québécoise, dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma, et samedi à 22 h 30, à ICI Télé, dans le cadre de l’émission Doc humanité