Pour éviter de subir le même sort que VRAK, qui disparaîtra des ondes le 1er octobre après avoir vivoté pendant plusieurs années, les chaînes spécialisées devraient adopter une ligne directrice claire, nette et précise, soutiennent spécialistes et diffuseurs.

« Celles qui s’en sortent le mieux sont celles qui ont gardé une identité forte », indique Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal,

L’expert en télévision québécoise avait beau discuter en termes généraux durant notre entretien, ses propos s’appliquent au dossier VRAK. Au cours des années, la station de Bell Média a souvent changé d’orientation. Elle s’est tour à tour adressée aux enfants, aux adolescents, aux jeunes adultes et (depuis 2020 seulement) aux « amateurs de fictions ». Actuellement, sa programmation renferme essentiellement des séries étrangères doublées en français, et aucune production originale québécoise.

« Au fil des années, l’identité claire de certaines chaînes s’est estompée », explique Geneviève Gagnon, superviseure, activation média chez Cossette.

La concurrence a conduit à l’uniformisation des contenus. Les émissions à succès sont souvent reconduites sur plusieurs chaînes, ce qui rend plus difficile l’identification spécifique.

Geneviève Gagnon, superviseure, activation média, Cossette

Une trentaine d’années après l’éclosion des premières chaînes spécialisées, ces dernières traversent une période difficile avec l’arrivée des plateformes numériques, l’essor des désabonnements et l’élimination des forfaits du câble, souligne Pierre Barrette. « Pour s’assurer d’être rentables, plusieurs d’entre elles privilégient les contenus pas tellement dispendieux, c’est-à-dire les séries américaines, les mauvaises traductions. Résultat : plusieurs chaînes finissent par offrir sensiblement la même chose, un contenu mixte avec presque pas d’orientation », ajoute l’expert en télévision.

Selon Pierre Barrette, les chaînes spécialisées québécoises devraient suivre l’exemple des chaînes spécialisées américaines, qui proposent des contenus qu’il qualifie de « périphériques ».

« Il y a vraiment une offre complémentaire aux États-Unis. Ce qu’on voit sur les chaînes spécialisées, ce sont des choses qu’on ne voit pas sur ABC, NBC, CBS et FOX. Au Québec, ce qu’on trouve sur certaines chaînes spécialisées, ça ressemble un peu au contenu des généralistes. On a parfois l’impression qu’on nous sert du réchauffé. »

Temps durs

Les temps étaient moroses pour VRAK, qui n’est plus offerte aux abonnés de Vidéotron depuis mercredi dernier, suivant une décision de Québecor, l’éternelle rivale de Bell Média, qui détient l’antenne agonisante. D’après les relevés financiers et statistiques 2022 du CRTC, mis à jour en juin dernier, VRAK compte 763 000 abonnés, en baisse de 11,6 % par rapport à 2021.

Mais VRAK n’est pas l’unique station du genre à connaître une érosion semblable. Aucune des quelque 30 chaînes linéaires spécialisées francophones n’a enregistré de hausse d’abonnés en 2022. Les désabonnements au câble (communément appelés les « coupeurs de cordon ») y sont pour beaucoup. Mais n’empêche. La crise est réelle.

Les baisses d’abonnés varient de 1,9 % (CASA, qui compte désormais 1 074 000 fidèles) à 9,9 % (RDS Info, encore suivie par 600 000 téléspectateurs).

Thématiques claires

Les diffuseurs adhèrent aux propos de Pierre Barrette concernant l’importance d’une identité forte. Selon Mélanie Bhérer, directrice générale, variété, style de vie, documentaire et numérique, chez Bell Média, « il faut des thématiques claires » pour espérer rallier un public ciblé. Elle considère que chacune des stations spécialisées de Bell Média possède une marque définie : « une chaîne plus féminine qui inspire » (Canal Vie), « une chaîne pour mieux comprendre les choses » (Canal D) et « une chaîne plus jeune et masculine » (Z, qui vient également d’être bannie par Vidéotron). Bell Média détient aussi Investigation, qui présente plusieurs émissions d’enquêtes (communément appelées true crime).

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mélanie Bhérer, directrice générale, variété, style de vie, documentaire et numérique, chez Bell Média

À Radio-Canada, on croit également détenir des chaînes spécialisées dotées d’une « marque claire ». La directrice générale, télévision, du diffuseur public, Dany Meloul, estime qu’ICI ARTV et ICI Explora rallient des publics distincts : des férus de « culture » d’un côté, des amoureux de « sciences et d’animaux » de l’autre.

Quand elles essaient d’être trop généralistes, les chaînes spécialisées se perdent dans la masse.

Simon Dupuis, premier directeur, planification, gestion et acquisition de contenu, Radio-Canada

Pour Corus, qui contrôle Séries Plus et Historia, l’ADN de chacune est limpide : la première offre des séries de fiction d’ici et d’ailleurs, la deuxième propose des documentaires ayant pour mission de « transposer à l’écran toutes les facettes de l’histoire d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs », nous écrit la direction du réseau dans un courriel.

Groupe TVA, qui possède plusieurs chaînes spécialisées de divertissement comme Évasion, Addik TV et CASA, n’a pas souhaité commenter cet article. Aucune réponse non plus chez Remstar, qui détient MAX, qui propose des séries américaines doublées en français comme La loi et l’ordre : crimes sexuels et Alias, et ELLE Fictions, dont l’offre automnale comprend des films, des séries traduites (Les frères Scott, Les lettres orphelines) ainsi qu’une nouvelle production originale, une émission d’entrevues mode avec Marie-Josée Gauvin.

Nombre d’abonnés aux chaînes spécialisées québécoises francophones de divertissement

  • RDS : 1 712 000 (-6,8 %)
  • Canal D : 1 690 000 (-5,4 %)
  • Canal Vie : 1 561 000 (-5,3 %)
  • Séries Plus : 1 367 000 (-5,6 %)
  • Historia : 1 355 000 (-5,9 %)
  • TVA Sports : 1 324 000 (-8,5 %)
  • Addik TV : 1 258 000 (-2 %)
  • Évasion : 1 220 000 (-5,6 %)
  • Z : 1 215 000 (-7,5 %)
  • ICI ARTV : 1 166 000 (-6,3 %)
  • CASA : 1 073 533 (-1,9 %)
  • Prise 2 : 988 000 (-3,3 %)
  • MOI ET CIE : 954 000 (-2,9 %)
  • Cinépop : 921 000 (-7,5 %)
  • Disney : 888 000 (-9,6 %)
  • VRAK : 763 000 (-11,6 %)
  • Investigation : 611 000 (-5,8 %)
  • Zeste : 609 000 (-2,8 %)
  • RDS Info : 600 000 (-9,9 %)

Source : CRTC, Relevés statistiques et financiers 2018-2022, Services individuels facultatifs

Lisez notre texte « Les chaînes spécialisées tiennent bon »