La rencontre de Yannick Nézet-Séguin et de François Girard, maîtres d'oeuvre de cette reprise de Parsifal au Metropolitan Opera House de New York - qui est présentée cinq années après le premier triomphe de la mise en scène de Girard sur cette scène prestigieuse -, est en soi un événement majeur pour la culture québécoise rayonnant à l'étranger.

Réunis dans une loge au terme des répétitions de jeudi dernier, les deux artistes s'expriment généreusement sur leur expérience commune.

«J'ai travaillé avec Kazushi Ōno à l'Opéra de Lyon, puis avec Daniele Gatti au Met en 2013, et voilà Yannick, amorce François Girard. En ce moment, c'est le nirvana... tout le monde flotte! Pour arriver à trouver l'équilibre des couleurs et des textures, le rôle du maestro dans Parsifal est crucial. Dans ce contexte, Yannick est un musicien exceptionnel, un très grand leader.»

Admiration mutuelle

Bien au-delà des rencontres préliminaires, François Girard et son équipe ont découvert Yannick Nézet-Séguin à travers la préparation de cette mégaproduction et...

«Nous sommes tous éblouis! Moi, je n'ai jamais vécu un théâtre [musical] comme ça. Yannick nous apporte une très grande clarté orchestrale, c'est de la haute résolution. J'ai l'impression d'être passé en 4K!»

Nul besoin de souligner que Girard et Nézet-Séguin ne sont pas peu fiers de faire équipe.

«Cette semaine, raconte le metteur en scène, nous avons coincé notre chanteur russe, Evgeny Nikitin, qui campe le rôle de Klingsor. On lui a dit: "Tu connais ça, la mafia russe, non? Alors, tiens-toi tranquille, car il y a plus de Québécois que de Russes ici !" On rigole, mais c'est exceptionnel. Je suis la carrière de Yannick depuis plusieurs années, son talent s'incarne devant moi.»

Et son collègue de renchérir:

«Et moi donc! J'ai vu à peu près tout ce qu'a accompli François, sur scène comme à l'écran. Moi aussi, ça m'emplit de fierté que nos génies québécois de la mise en scène comme Robert Lepage ou François soient reconnus sur la scène internationale, notamment à New York.» 

«Je suis fan fini non seulement de François, mais encore de ce Parsifal. Je vais être prudent et ne pas affirmer que c'est la plus belle production du Met, enfin... c'est assurément l'une des meilleures.»

Nézet-Séguin se dit comblé par cette association, car il croyait au départ que le Met prévoyait confier de nouveau la direction d'orchestre au maestro de 2013, soit l'Italien Daniele Gatti. Il était d'abord question que le Québécois dirige Elektra, opéra de Richard Strauss, au moment où il était en pourparlers afin d'obtenir le poste de directeur artistique - à compter de 2020. Or, Parsifal lui a été finalement proposé, et il a décidé de plonger.

De la version concert à la version totale

De la version concert de Parsifal avec l'Orchestre métropolitain (OM) l'été dernier à l'opéra du Met, l'aventure de Yannick Nézet-Séguin a été riche et intense depuis l'été dernier.

«Pour m'attaquer à ce bateau, monter d'abord Parsifal en version concert était un sine qua non. Il y a tant de couches de traditions dont il faut tenir compte ! Le faire pour la première fois avec l'OM fut un très beau chemin parcouru. Or, je me trouve cette fois avec un orchestre qui sait exactement ce que Parsifal représente, ce qui y est chanté, ce qui en habite l'espace sonore.»

Le maestro indique en outre que l'orchestre du Met est «toute une machine», capable d'exécuter sept opéras par semaine.

«Ces musiciens ont été sélectionnés pour leur concentration incroyable et leur très grande rapidité de préparation. Il y a peu d'erreurs dès la première lecture, tout le monde est focus et connaît la partition. Je démarre donc avec un véhicule plastiquement idéal, et il y a aussi cette culture de l'orchestre, il y a les accomplissements magnifiques de mes prédécesseurs.»

Photo Ken Howard, fournie par le Metropolitan Opera

Klaus Florian Vogt joue le rôle-titre dans l'opéra Parsifal, mis en scène par François Girard pour le Metropolitan Opera.

«Or, j'arrive à un moment où cet orchestre a besoin d'un guide, et Parsifal est l'occasion rêvée de communiquer mes indications à cette formation qui compte plusieurs jeunes musiciens.»

Le passage de la version concert à la version totale ne se fait pas sans vertiges, indique Yannick Nézet-Séguin.

«Au milieu de l'acte 3, par exemple, je craignais des longueurs... Je pouvais avoir l'impression de nager seul dans l'océan, je devais faire confiance à la mise en scène. Or, elle est tellement bien adaptée au rythme de la musique, je ne ressens jamais cette longueur. Tout cohabite parfaitement.»

Texte et musique

François Girard croit aussi à cette interdépendance de l'exécution orchestrale et de la mise en scène.

«Tu n'as pas le choix avec Parsifal: si tu ne te réclames que du texte, t'es faite! Parsifal est le dernier geste de Richard Wagner, c'est une synthèse très ambitieuse, un testament et il n'y arrive pas complètement dans le texte. Là où le chef-d'oeuvre est évident, c'est dans la partition: limpide, claire, géniale, elle est le liant de cet opéra. Supérieure au texte? Oui. D'autres textes de Wagner sont mieux ficelés. Or, la musique de Parsifal est le plus haut sommet atteint par les systèmes wagnériens - leitmotiv, chromatisme, etc.»

«Chez Wagner en général, il y a un idéal de corrélation entre texte et musique, lui-même étant à la fois auteur et compositeur. Ainsi, il a développé des systèmes de corrélations textes-musiques beaucoup plus évolués que dans les autres opéras du répertoire.»

On comprend donc que François Girard estime qu'il serait «dans une nébuleuse» s'il ne se réclamait que du texte. « Les réponses à la mise en scène se trouvent aussi et peut-être surtout dans la partition. »

Yannick Nézet-Séguin ne le contredira point, lui qui considère Parsifal comme l'opéra absolu de Wagner.

«Parsifal est la fois le point culminant du génie wagnérien et une économie de moyens, ce qui en explique la limpidité orchestrale. Tu ne peux pas mettre la musique au-dessus du texte dans l'opéra, mais ici les clés se trouvent dans la musique.»

Lenteur et profondeur

La lenteur de l'oeuvre, sa longueur et sa profondeur sont aussi des variables déterminantes de Parsifal, rappelle en outre Yannick Nézet-Séguin.

«Quand nous acceptons cette lenteur, ça vient nous chercher. À une époque où tout est tellement fast-paced, effréné, ça nous ramène à cette profondeur essentielle que l'on doit atteindre en tant qu'êtres humains.»

Pour François Girard, c'est idem:

«Parsifal touche des thèmes et des émotions souvent hors d'atteinte de nos jours. Notre travail consiste donc à modifier l'horloge intérieure du public en lui suggérant cette introspection dans une grande enveloppe de lenteur. Voilà un antidote fantastique pour notre époque marquée par le déficit d'attention.»

Deux grands artistes québécois et leurs nombreux collègues se chargent de nous l'administrer.

Photo Ken Howard, fournie par le Metropolitan Opera

Le chef Yannick Nézet-Séguin pendant les répétitions de Parsifal