Nos deux principaux orchestres, l'OSM et l'OM, ont programmé une seule symphonie de Bruckner cette saison et le hasard a voulu que ce soit la même: la troisième. Ce ne peut être en effet que le hasard... à moins que Kent Nagano et Yannick Nézet-Séguin ne se consultent, ce qui serait fort étonnant!

La troisième est, de toutes ses symphonies, celle que Bruckner révisa le plus de fois. Il en existe au moins six moutures. La première version, de 1873, tient en 2056 mesures et dure environ 70 minutes. Bruckner procéda ensuite à plusieurs émondages qui produisirent la version finale de 1889, où la partition se ramène à 1644 mesures et la durée, à quelque 60 minutes.

Nagano dirigea son Bruckner au début de la saison, en septembre. Nézet-Séguin a placé le sien à la fin. Non seulement les deux chefs ont-ils choisi la même symphonie mais, à l'origine, ils avaient retenu la version finale de 1889. Depuis, Nézet-Séguin a modifié son choix. Au lieu de la version plus courte de 1889 (tel qu'indiqué dans la brochure de saison de l'OM), il est revenu à la version plus longue de 1873, celle-là même que Nagano utilise dans son enregistrement de 2003 avec le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin.

De la troisième Symphonie, nous aurons donc eu, en concert cette saison, la version la plus courte par Nagano (57 minutes) et la version la plus longue par Nézet-Séguin (68 minutes). Bien que les deux partitions restent très voisines, malgré quelque 10 minutes de différence, il n'y a pas lieu de comparer les deux interprétations, toutes deux remarquables et entendues dans la même salle, à neuf mois d'intervalle. La chose sera possible cependant puisque Nézet-Séguin et l'OM s'apprêtent à enregistrer leur Bruckner.

Dans l'immédiat, disons que Nézet-Séguin signe encore une fois une interprétation grandiose et émouvante de cette musique qu'il vénère. Pourtant, cette troisième Symphonie n'est pas la plus importante du corpus brucknérien et elle comporte bien des longueurs. Tel passage ici, tel autre là: il y a des redites, il faudrait couper et, justement, Bruckner a coupé. Mais il était intéressant d'entendre l'oeuvre dans sa mouture originale.

Surtout que Nézet-Séguin possède bien la partition (on le surprend à tourner plusieurs pages à la fois!) et tient son orchestre comme son propre instrument, à chaque seconde, du commencement à la fin. Les cordes, avec violons de part et d'autre du podium et contrebasses tout au fond, forment une masse compacte que tranchent les majestueux appels répétés des cuivres. Notons encore le caractère religieux que Nézet-Séguin confère à l'Adagio et qu'il allège ensuite en soulignant la naïveté du Scherzo.

Inutile de dire que ce Bruckner écrase à peu près complètement ce qui précède. Le premier Concerto pour piano de Brahms reste une oeuvre magistrale que l'OM et son chef restituent telle quelle, malgré quelques minimes imprécisions chez les bois. Mais quel néant, tout de blanc vêtu, à l'avant-scène! On ne comprend pas l'intérêt qu'un musicien aussi sérieux que Nézet-Séguin porte à la pianiste française Hélène Grimaud. Cherchant à donner du poids à son Brahms, la soliste abuse de la pédale et «pioche», pour employer une expression courante. Pis encore, elle n'a rien à dire. Ainsi, comment expliquer qu'au mouvement lent, l'expression que Nézet-Séguin imprime aux cordes nous rejoint au plus profond de nous-mêmes pendant que le piano, lui, garde la neutralité la plus absconse?

N'insistons pas, consolons-nous plutôt. La salle comble écoute dans un silence absolu et respecte le repos entre les mouvements. Elle est donc prête à recevoir une interprétation digne de ce nom. Celle-ci viendra un autre jour.

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ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN. Chef d'orchestre: Yannick Nézet-Séguin. Soliste: Hélène Grimaud, pianiste. Hier soir, Maison symphonique, Place des Arts; reprise ce soir, 19 h 30.

Programme:

Concerto pour piano et orchestre no 1, en ré mineur, op. 15 (1859) - Brahms

Symphonie no 3, en ré mineur (Wagner-Sinfonie) (version originale, 1873, édition Leopold Nowak, 1977) - Bruckner