Il faut d'abord se mettre dans la tête que ce personnage masculin appelé Goffredo, incarné par une femme qui chante en italien et qui est sur scène pendant une bonne partie du très long spectacle de plus de trois heures, est en réalité Godefroi de Bouillon, qui dirigea la première Croisade en 1096-1099.

Bien sûr, on ne va pas à l'opéra pour apprendre l'histoire et la production de Rinaldo à McGill n'a pas cette prétention mais cherche d'abord - et y réussit plutôt bien - à rendre justice à cet ouvrage, l'un des plus ambitieux de Handel.

Des différentes éditions de Rinaldo, McGill a choisi la première, celle de 1711, où Goffredo était incarné par une femme. Son principal lieutenant, Rinaldo, et son frère, Eustazio, chantés à l'époque par des castrats, le sont aujourd'hui, forcément, par des hautes-contre, ou encore des mezzos, ce qui est le cas à McGill. Même chose pour le mage chrétien, qui aide les Croisés à écraser l'ennemi: castrat à l'époque, haute-contre ou mezzo aujourd'hui. Par ailleurs, la belle Almirena, fille de Goffredo que celui-ci promet en mariage à Rinaldo s'il réussit à conquérir Jérusalem, était chanté par une femme et l'est encore. De même, le camp ennemi est demeuré inchangé: comme à la création, Argante, le roi de Jérusalem, est une basse (ou un baryton grave) et la sorcière Armida, sa maîtresse, une soprano.

Nous voici donc, à McGill, avec quatre jeunes femmes chantant des rôles d'hommes et donc habillées en Croisés, à l'exception du mage. Pour l'ensemble, elles jouent bien et se montrent à la hauteur de la virtuosité vocale baroque. Mais l'interprète de Goffredo, Michaela Dickey, est trop petite et trop effacée pour un rôle de chef. On aurait dû confier le rôle à Pascale Spinney, qui joue Eustazio et possède beaucoup plus de voix et de présence. En fait, visuellement et vocalement, ce pauvre Goffredo est complètement écrasé par celui qu'il vaincra pourtant, c'est-à-dire le méchant Argante.

Dans le rôle, Gordon Bintner monopolise la scène avec la voix et le jeu d'un grand professionnel et le costume le plus spectaculaire de tous. On se rappelle que ce chanteur de la Saskatchewan remporta le Concours OSM l'an dernier. Caitlin Hammon, qui incarne sa complice Armida, révèle aussi un magnifique talent vocal et dramatique, et Sara Ptak pousse une très jolie voix de soprano en Almirena.

François Racine a imaginé une mise en scène très vivante, avec des surprises, de l'humour aussi. Les costumes sont tous très beaux. Le décor se ramène à des masses abstraites qu'on déplace ou qu'on abaisse et les deux «dragons» qui encadrent Armida à sa descente des airs sont représentés par de grosses «bibittes» blanches en forme de parapluies que des figurants agitent. Dans la fosse, Hank Knox dirige un petit ensemble baroque imparfait mais efficace. Comme toujours à McGill, il y a deux distributions. Celle d'hier soir revient demain soir.

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RINALDO, opéra en trois actes, livret de Giacomo Rossi et Aaron Hill d'après Tasso, musique de George Frideric Handel (1711).

Production: Atelier d'opéra de l'Université McGill. Pollack Hall de McGill. Première hier soir. Reprises aujourd'hui et demain, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Mise en scène: François Racine. Décors: Vincent Lefèvre. Costumes: Ginette Grenier. Éclairages: Luc Prairie. Orchestre baroque de McGill, dir. Hank Knox.