C'était «journée musicale française» hier à Montréal. Rien de planifié, le pur hasard. Dans l'après-midi, le LMMC présentait le jeune et très attendu Quatuor à cordes Ébène. En soirée, l'Orchestre National de France entreprenait ici une brève tournée de cinq concerts en Amérique dont le deuxième a lieu ce soir à Ottawa.

Autre hasard: les deux concerts marquaient deux premières ici. Le Quatuor Ébène n'est jamais venu encore au Québec. Il a cependant joué à Toronto l'an dernier et y joue de nouveau ce soir. Pour le soliste du National, le pianiste Jean-Efflam Bavouzet, il s'agissait aussi d'une première visite chez nous.

Ce n'est pas la première fois que j'entends l'Orchestre National de France, mais c'est la première fois qu'il me laisse aussi indifférent. La personnalité du chef - ou plutôt l'absence de - est certainement en cause. Daniele Gatti entre en scène lourdement et il dirige aussi de cette façon. Le Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy, la suite de 1945 de Der Rosenkavalier de Richard Strauss, La Valse de Ravel: l'OSM a déjà toute cette musique à son répertoire et la défend parfaitement bien - mieux même, avec certains chefs, que ce qu'on a entendu hier soir.

Programme conventionnel, chef peu connu. Rien pour «vendre» une salle. Résultat : 1000 personnes environ. Encore faudrait-il connaître le nombre de billets donnés.

Sur les composantes mêmes de l'orchestre, rien à redire, mais rien de particulier à dire non plus. J'attendais les fameux bois français. Je n'ai rien entendu. Ils sont sans doute passés à d'autres orchestres.

Seul élément digne de mention: le troisième Concerto de Beethoven par Bavouzet. Je connaissais ses miraculeux Debussy du disque. Son Beethoven est étonnant de force et de clarté conjuguées, avec une main gauche très sonore, un art très poussé du trille et une vélocité qui reste toujours musicale. Pour Beethoven, le chef avait ménagé un confortable coussin de cordes.

De toute cette journée de musique, le plus beau souvenir que je garderai sera le Quatuor de Ravel tel que pris en mains par le Quatuor Ébène. Ravel indique ses mouvements «très lent» et «très doux» et, en général, les ensembles rendent fidèlement cette idée... enfin, je le pensais! Hier, l'Ébène nous a révélé d'autres définitions de ces termes. Je ne croyais pas possible de jouer aussi lent et aussi doux tout en restant naturel et authentique, et sans tomber dans le maniérisme. Les visiteurs réussissent ce miracle, avec un vibrato un peu restreint à la couleur légèrement archaïque. En contraste, ils lancent le finale sur un ton terrifiant.

Le programme était particulièrement original: le Debussy et le Ravel, sommets du quatuor français du XXe siècle, encadrant l'unique et très rarement joué Quatuor op. 121 de Fauré, ultime oeuvre de son auteur. Le Fauré est un peu monotone, reconnaissons-le. (Le Fitzwilliam l'avait joué au LMMC en 1982.) Le Debussy révéla la même richesse d'approche que le Ravel. Acclamés, les quatre coéquipiers saluèrent sans leurs instruments et ne donnèrent pas de rappel.

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ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE. Chef d'orchestre: Daniele Gatti. Soliste: Jean-Efflam Bavouzet, pianiste. Hier soir, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. QUATUOR À CORDES ÉBÈNE - Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure (violons), Mathieu Herzog (alto) et Raphaël Merlin (violoncelle). Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: LMMC.