Le comédien Émile Proulx Cloutier, qu'on a beaucoup vu sur les écrans cette année, a lancé la semaine dernière un deuxième disque, Marée haute, oeuvre dense, aussi dure que lumineuse. Rencontre avec un artiste aux multiples talents qui préfère se faire dire merci que bravo.

Le chanteur

Émile Proulx-Cloutier le chanteur adore raconter des histoires. Il le faisait déjà dans son premier disque sorti en 2013, Aimer les monstres. Marée haute est tout autant peuplé de personnages: un ado qui tente de s'évader de sa banlieue, un homme mourant qui cherche les derniers mots à dire à son enfant, un autre qui revoit un ancien amour...

«J'aime beaucoup employer la fiction, dit le très volubile chanteur. Je façonne le personnage et le cadre musical pour que les images soient le plus nettes possible. Ensuite, je peux investir ma sensibilité, mes observations et mes obsessions pour nourrir cette histoire. Comme on le fait comme acteur.»

Les deux disques sont donc remplis d'histoires, de coups de gueule et de confessions, dit Émile Proulx-Cloutier. «Mais sur le premier, les confessions étaient plus discrètes. Là, je m'expose davantage, mais je ne pourrais pas faire 12 chansons sur le mode journal intime. Il n'y a pas assez de pages.»

Il est resté fidèle à lui-même du côté des textes, mais l'auteur-compositeur-interprète estime s'être cette fois-ci davantage éclaté musicalement. «Avec le réalisateur et arrangeur Guido del Fabbro, on a été plus orchestral et plus lyrique. J'ai travaillé fort pour que ce soit plus mélodique. J'avais envie que si on coupe les pistes de voix et qu'on garde juste la musique, il reste quelque chose de fondamentalement vivant.»

Cette vie, on la sent entre les lignes de ses textes souvent sombres et durs, mais où il tient à faire passer de la lumière. «Il y a un appel d'air vers la vie, un grand coup de pied dans le fond pour essayer de remonter à la surface», dit le chanteur, qui estime que l'idée de «la tension entre la fuite et l'enracinement, entre le repli et le désir d'aller vers l'autre» irrigue tout le disque.

«Les chansons qui sont restées sont celles qui tentaient de mettre le doigt sur cet espace fragile entre deux côtes, qui chatouille un peu et qui est difficile à rejoindre. Oui, il y a des paradoxes dans ça, mais je voulais qu'on ressente des nuances d'ombre et de lumière.»

C'est qu'Émile Proulx-Cloutier refuse de se complaire dans le nihilisme et la fatalité. «C'est une posture mensongère. Il faut que demain se puisse.»

Le comédien

Il a été partout sur les écrans cette année. On l'a vu à la télé dans Plan B, Boomerang et Faits divers, et il tient un rôle principal dans le film Nous sommes les autres, présentement au cinéma. Il tourne actuellement Demain les hommes, série de Guillaume Vigneault et Yves-Christian Fournier qui sera diffusée à Radio-Canada l'an prochain, et sera à l'affiche, le printemps prochain, du film La Bolduc, où il incarne le mari de la célèbre chanteuse.

«C'est un peu l'avalanche, mais il y a des choses qui étaient tournées depuis un an», admet l'acteur. Qu'il incarne un avocat à la morale élastique dans Plan B, un policier un peu quétaine dans Faits divers ou un architecte qui se fond dans la peau d'un autre dans Nous sommes les autres, Émile Proulx-Cloutier aime brouiller les pistes.

«Je ne suis pas un acteur qui reçoit des piles de scénarios. On m'invite à des auditions et je fais du mieux que je peux.»

«Récemment, chaque fois que j'ai été choisi, on m'a dit que je n'étais pas le premier choix, mais que j'avais été convaincant en audition, poursuit le comédien. D'où l'importance d'y avoir accès! L'audition est un endroit précieux où tu peux faire ton travail et proposer un savoir-faire qui n'est pas juste ta face.»

Incarner en chansons une foule de personnages lui a permis d'élargir ses horizons d'acteur. «Ça a fait éclater des barrières dans ma tête. C'est comme si j'avais besoin de me rappeler que ma palette était plus large que ce que j'ai offert jusqu'à maintenant. Quand je joue un rôle de moron comme dans Boomerang, je ne suis pas en train de faire un édito, mais vous allez avoir un moron de qualité suprême!»

En tout cas, il nous l'a démontré amplement cette année: Émile Proulx-Cloutier sait parfaitement jouer dans les zones grises de l'humain.

«Au-delà du propos même, j'aime rappeler l'existence de cette zone d'humanité profonde où rien ne peut se régler en deux, trois phrases assassines. Kafka disait qu'un livre, c'est une hache qui sert à briser l'immense mer gelée en nous. Plein d'affaires me gèlent dans la vie et je suis persuadé que je ne suis pas le seul. Je pense que c'est notre travail de créateur, d'interprète, de fendre cette affaire-là.»

L'homme engagé

Il fait du théâtre documentaire avec sa conjointe, Anaïs Barbeau-Lavalette. Il parle des travers de notre société dans ses chansons et ses monologues. Mais Émile Proulx-Cloutier refuse le titre d'artiste engagé.

«Je dis toujours que je ne suis pas un artiste dégagé. Je suis préoccupé, je ne me sens pas au-dessus de tout, mais pour moi, l'engagement, ce sont les éducatrices de CPE que je vois tous les matins, ce sont les profs, les travailleurs sociaux, tous ceux qui se démènent dans des combats où on ne les applaudit jamais. Ce sont eux qui peuvent me parler d'engagement.»

Ce qui est certain, par contre, c'est que dans le brouhaha ambiant, Émile Proulx-Cloutier préfère la réflexion aux commentaires instantanés. 

«J'aime beaucoup les processus lents. Ça peut me prendre un an et demi, écrire une chanson.» 

Lui qui se sent submergé par la mer d'informations qui circulent voit bien qu'il n'est pas très à la mode. «Je ne sais pas comment je vais faire pour dire à mes enfants quels sont les bons outils pour penser le monde. Je n'ai pas la clé.»

Pour l'instant, Émile Proulx-Cloutier continue à faire des chansons qui aident à vivre, et c'est déjà beaucoup.

«Je suis assez lucide sur l'utilité que j'ai dans la société. Mais je crois que la fréquentation des oeuvres finit par forger en toi un écosystème qui va t'aider à vivre. Alors je ne sais pas si ça change quelque chose, mais je sais que ça peut changer quelqu'un. Et que cette personne va vivre différemment après. C'est pour ça que j'aime mieux me faire dire merci que bravo. C'est ça que j'ai envie de laisser: un outil de plus, une autre flèche à mettre dans son carquois.»

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CHANSON. Marée haute. Émile Proulx-Cloutier. La Tribu.

image fournie par la tribu

Marée haute, d'Émile Proulx-Cloutier