Quatre ans et demi après l'effervescent Punkt, Pierre Lapointe est de retour avec un disque d'une étrange beauté. Avec La science du coeur, savant mélange de pop, de chanson et de musique contemporaine qui sera en vente dès vendredi, le chanteur démontre qu'il peut encore nous surprendre en poussant son art une coche plus loin.

Pierre Lapointe arrive aux bureaux de La Presse chargé de vêtements en vue de la prise de photos. « On m'a demandé d'apporter de la couleur, j'ai du choix », dit le chanteur. Sérieux et concentré, il passera toute la séance à essayer des poses, en mouvement ou assis, vérifiant son profil dans l'appareil du photographe et se changeant complètement deux fois, jusqu'à ce que tout le monde - surtout lui (!) - soit satisfait.

Plus tard en entrevue dans un petit bureau, il est toujours aussi sérieux et concentré. Il parle vite et pas très fort, pas particulièrement chaleureux mais généreux et bavard, pas facile à interrompre mais toujours prêt à donner un exemple ou à préciser sa pensée.

Rien n'est laissé au hasard chez Pierre Lapointe. S'il a accepté d'être coach à La voix pendant trois saisons - il laisse encore planer le doute sur sa présence pour la prochaine -, c'est avec l'objectif avoué de rentrer dans l'imaginaire collectif. « Je suis devenu une vedette, ce qui est assez anormal pour quelqu'un comme moi. Mais c'est vrai que j'ai joué sur les deux fronts pendant toute ma carrière. » Normal, donc, qu'il revienne avec un disque plus exigeant. 

« Je ne dirais pas qu'il n'est pas accessible, mais il est sans concession. »

- Pierre Lapointe, au sujet de son opus La science du coeur

Il n'y a pas de hit radio sur La science du coeur, un disque « pas commercial », souligne Pierre Lapointe. « Aujourd'hui, pour passer à la radio, il faut un beat électro, un refrain à peu près pareil aux autres refrains. Je suis à contre-courant de ça, volontairement », dit le chanteur, qui a voulu « faire le pont entre la chanson traditionnelle d'expression française et la musique orchestrale contemporaine classique ».

SANS INTERRUPTION

Dans les crédits, Pierre Lapointe demande d'ailleurs aux auditeurs d'écouter le disque sans interruption. « Laissez de côté les réseaux sociaux et autres occupations et concentrez-vous sur ces quelques chansons durant les 37 prochaines minutes, vous en sortirez transformés », écrit-il. Un avertissement qui est bien sûr un peu un jeu, mais Pierre Lapointe estime avoir fait un album « généreux » qui mérite bien qu'on ferme nos téléphones pendant un moment.

Textes chargés et truffés de références, musiques orchestrales somptueuses - « C'était un impératif de départ de ne pas avoir de synthés » -, voix plus coulante et chargée d'émotion - « Après 36 ans de vie dans mon corps et 17 ans de carrière, c'est normal que je sois arrivé à ce niveau de maîtrise de mon instrument » -, Pierre Lapointe l'admet : toutes les facettes de sa personne sont arrivées à maturité sur ce disque. 

« Je n'ai jamais écrit avec autant de dextérité ni de limpidité. On dirait que je suis rendu à une espèce de symbiose entre mes capacités vocales, intellectuelles, musicales, d'écriture, et aussi à gérer des équipes. »

- Pierre Lapointe

Étonnante affirmation, surtout qu'il a créé La forêt des mal-aimés, un des disques majeurs des années 2000 au Québec, à l'âge tendre de 24 ans. « Pourquoi un architecte arrive à maturité à 50 ans, mais qu'un chanteur doit l'être à 22 ans et qu'à 30 ans, c'est déjà fini ?, demande-t-il. C'est un peu ridicule. Je veux que ma carrière soit comme celle de Jean-Pierre Ferland, de Richard Desjardins. Oui, j'ai fait La forêt des mal-aimés et j'en parle encore, mais dans ma tête, ce que j'offre là est beaucoup plus solide. »

SPECTRE AMOUREUX

La science du coeur est une oeuvre « plus lucide que pessimiste » sur les relations amoureuses et le rapport aux autres. « On aime les autres quand on s'aime soi-même, c'est la trame », dit Pierre Lapointe, qui explore ici tous les aspects du spectre amoureux. « Ça passe par la peine d'amour, par un amour qui est parti et qui revient, à une première rencontre où on veut tout avaler en même temps, le ciel, la terre, la joie, la peine. »

Créé en parfaite symbiose avec le compositeur français David François Moreau - qui a travaillé autant pour des spectacles de danse contemporaine qu'avec Patrick Bruel -, Pierre Lapointe livre une oeuvre dense et touffue, truffée de clins d'oeil et d'exercices de style. Par exemple, le texte de la tragique Un coeur s'inspire de la très légère Une noix de Charles Trenet. Léo Ferré n'aurait pas renié Qu'il est honteux d'être humain. La musique de Mon prince charmant est un croisement entre celles de David Bowie et de Joao Gilberto (le chanteur en a fait la démonstration en entrevue, on vous jure, ça fonctionne).

« Mais dans toute cette démarche intello, l'important est que le résultat final touche les gens. Je voulais faire des chansons qui donnent l'impression qu'elles ont toujours existé, mais qu'on découvre pour la première fois. La beauté était de mise. » Et il n'a pas lésiné sur les moyens pour y arriver. « Une chanson comme La science du coeur, il y a à peu près quatre couches de 30 cordes qui sont superposées », raconte-t-il.

MISER SUR LE LONG TERME

La science du coeur sortira vendredi, simultanément au Québec et en France, où il est distribué par la maison de disques Columbia. Et Pierre Lapointe en est déjà à préparer sa tournée, qui commence en novembre. S'il ne se fait pas d'illusions en termes de ventes - « Le disque va mal partout sur la planète » -, il mise sur le long terme.

« Je sais qu'il y a des gens qui ont soif d'une écriture comme celle-là, soif de beauté. Je le sais parce que j'en fais partie. J'ai fait ce disque pour répondre à ce besoin chez moi, j'espère qu'il répondra à celui des autres, que les auditeurs se laisseront aller dedans. Je crois que c'est un disque qui peut accompagner les gens pendant toute une vie. »

CHANSON

La science du coeur

Pierre Lapointe

Audiogram

Sortie vendredi

Image fournie par AUDIOGRAM

La science du coeur, de Pierre Lapointe