Motifs pianistiques créés devant public, microphones de contact et autres objets disposés à l'intérieur de l'instrument permettent à Hauschka de générer des sons inédits et de les mettre au service d'une pensée musicale hors du commun. Le tout est remixé en temps réel, chaque sédiment est balancé en boucle et assorti de traitements singuliers - saturation, réverbération et plus encore.

«J'aime faire en sorte que l'on soit en présence de plus d'un instrument, que le son du piano puisse créer l'effet d'un choeur ou d'un ensemble à cordes», explique le principal intéressé, joint à la veille de son concert en sol montréalais.

Volker Bertelmann, alias Hauschka, s'est déjà produit à Mutek, en 2007. À ce festival consacré essentiellement aux musiques électroniques, le pianiste, improvisateur et compositeur allemand était alors l'un des rares à jouer une musique que l'on peut qualifier d'instrumentale. Pourquoi donc? Il fut accueilli dans ce contexte électro pour la grande originalité de ses surimpressions, pour la singularité de la prise de son au coeur de son piano préparé.

Sept ou huit albums plus tard, il jouit d'une notoriété qui lui permet de tourner à travers le monde et de mener une carrière très active dans son pays.

«Pour un musicien comme moi, la période actuelle est plus propice. La route ne fut pas aisée, il faut dire; il y a 10 ou 15 ans, c'était presque impossible pour moi. On associait alors les artistes allemands à la musique électronique berlinoise ou, bien sûr, à la musique classique. Je suis heureux que les choses aient changé. D'autant plus que je ne suis pas basé à Berlin, mais plutôt à Düsseldorf, pourtant la ville de Kraftwerk!»

Lancé en 2014 sous étiquette City Slang, l'opus Abandoned City valut à Hauschka d'excellentes critiques sur l'entière planète musique, et une tournée mondiale qui s'allonge depuis lors.

«La base de cet album s'est érigée alors que je contribuais à la relecture d'un opéra, soit Le vaisseau fantôme de Richard Wagner. On m'avait alors demandé d'en écrire l'ouverture; j'avais composé Elizabeth Bay, qui devint la première pièce au programme d'Abandoned City. Dans ce contexte, j'ai tenté de perfectionner ce son "orchestral" généré à partir de pianos préparés à ma manière. Aujourd'hui, plusieurs musiques jouées dans mes concerts s'inspirent de cet album, mais j'en fais évoluer les sons imaginés en studio. D'une certaine façon, je m'en détache progressivement. Tourner sans cesse à travers le monde me mène à transformer ma musique devant public, ce qui me sert pour mes nouvelles compositions.»

Rien de préenregistré

Ainsi donc, il n'y a rien, strictement rien de préenregistré dans les concerts donnés par Hauschka. Ni synthés, ni ordinateurs portables, ni disques durs d'aucune sorte.

«Tout est joué en direct. Je dirais que 90 % de cette musique est improvisée. Et j'essaie de m'y limiter, si ce n'est que pour la beauté de la démarche.»

«Il y a aussi le piano lui-même, très différent d'une salle à l'autre. Chacun de ces pianos me pose de nouveaux problèmes, me lance de nouveaux défis. Il est toujours excitant de procéder à la préparation d'un nouveau piano. J'essaie de m'y adapter, et cette adaptation fait partie du plaisir.»

Force est de déduire que chacun des concerts donnés par Hauschka est différent.

«Cela se veut aussi un reflet de mes humeurs du moment; comme tout le monde, mes humeurs peuvent passer de la mélancolie à l'euphorie, à la joie, etc. J'intègre ces états réels au contexte du concert, j'ose croire que cela ajoute à la diversité de mes interprétations. En fait, cela m'aide à greffer de nouvelles variantes musicales, de nouveaux rythmes, de nouveaux effets, de nouveaux usages.»

Soulignons en outre que Hauschka se produit dans différents contextes, car sa musique intéresse une diversité de milieux institutionnels ou d'avant-garde: clubs ou festivals consacrés à l'indie, églises, galeries d'art, lofts, salles de concert, formations classiques. Cette année, d'ailleurs, il est compositeur en résidence pour l'orchestre symphonique du MDR de Leipzig.

«La première de quatre oeuvres commandées, Cascades (pour choeur et orchestre), y a été créée en septembre dernier. Pour la deuxième, je travaille avec le groupe islandais Múm, dont le travail [surtout électronique] sera intégré à l'orchestre symphonique.»

Parcours atypique

On aura deviné que le parcours de Volker Bertelmann, musicien en fin de quarantaine, est clairement atypique.

«J'ai étudié la médecine et l'économie, mais j'ai toujours joué de la musique depuis l'âge de 9 ans. J'ai déjà essayé d'éviter d'être musicien, car je n'arrivais pas à trouver le bon environnement, la bonne formation [ni jazz, ni classique, ni pop], le bon milieu, mais... la musique m'a toujours rattrapé. Peu à peu, elle m'a fait vivre. D'abord dans le hip-hop inspiré de la old school et du funk rock à la Red Hot Chili Pepper, puis dans la musique électronique et, finalement, dans la musique de piano.

«Avec le temps, j'ai trouvé le courage et la confiance de rendre publique la musique que j'aimais vraiment, sans prétendre à quelque virtuosité. Lorsque, en 2012, j'ai enregistré pour Deutsche Grammophon avec la violoniste Hilary Hahn, j'ai finalement acquis la pleine confiance en mes moyens, réalisant que ma créativité pouvait faire bon ménage avec la virtuosité d'une telle interprète. Chacun peut offrir quelque chose et contribuer à une mixture unique.»