Montréal a entendu la Passion selon saint Jean de Bach on ne sait plus combien de fois ces dernières années. Presque chaque saison, dirait-on. Le temps est grandement venu de penser à autre chose, surtout que tant de répétition engendre une routine dont se ressent la présente version, signée Labadie et compagnie.

Le choeur mixte de 32 personnes encerclant sur une hauteur le petit orchestre disposé au centre et les six chanteurs solistes à l'avant-scène: le spectacle, plein de dignité, a été vu à Québec plus tôt cette semaine et sera à Carnegie Hall demain après-midi. Magnifique.

Mais la Saint Jean ainsi reprise à satiété n'offre plus le même attrait: la Maison symphonique était loin d'être remplie vendredi soir, malgré la présence en Évangéliste de cet exceptionnel interprète qu'est le ténor britannique Ian Bostridge.

Bostridge fut d'ailleurs, de ces deux longues heures d'audition, le seul participant vraiment engagé. Soliste des Violons du Roy une première fois en avril de l'an dernier, l'homme ne remporterait certainement pas -- et ne rechercherait manifestement pas non plus! - de prix de beauté, de mode ou de tenue en scène. Il est lui-même, point à la ligne. Il dramatise le récit de l'Évangéliste d'un regard ou d'un geste parfois déplacés, souligne à gros traits certains mots, colore son étrange voix en fonction du texte.

Deux barytons graves (ou «barytons-basses», dans le jargon des chanteurs) se démarquent de la liste des solistes, mais uniquement par la voix: Neal Davies, Britannique lui aussi, en Jésus très noble mais peu émouvant, et l'Allemand Hanno Müller-Brachmann, correct mais également indifférent en Pierre ou en Pilate. Le ténor américain Nicholas Phan chante d'abord assez mal, ensuite un peu mieux, et le haute-contre français Damien Guillon est, à son mieux, quelconque. Seule femme du groupe, Karina Gauvin reste assise là pendant deux heures à ne rien faire, sauf au début et à la fin. Le premier air ne la trouve pas dans sa meilleure forme; elle se ressaisit au second.

Les Violons du Roy, augmentés de vents et claviers et portés à 23 musiciens, sont impeccables, comme toujours, tout comme les 32 choristes de la Chapelle de Québec. Et pourtant, j'ai déjà entendu les uns et les autres beaucoup plus inspirés. Une sorte d'ennui semble avoir gagné la double formation. Peut-être faudrait-il en chercher l'origine au niveau du chef?

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JOHANNES-PASSION, pour voix solistes, choeur et orchestre, BWV 245 (1724) - J. S. Bach.

Les Violons du Roy et La Chapelle de Québec. Dir. Bernard Labadie.

Solistes: Ian Bostridge, ténor (l'Évangéliste), Neal Davies, baryton (Jésus), Hanno Müller-Brachmann, baryton (Pierre et Pilate), et autres.

Vendredi soir, Maison symphonique, Place des Arts.