Nouvellement admis dans l'élite hip-hop, Saba propose un enregistrement gorgé de substances soul, jazz ou électroniques, certes l'un des meilleurs des derniers mois.

De manière générale, le propos du rappeur n'y est pas jojo: la mort tragique d'un proche cousin, rappeur-producteur émergent comme lui, assassiné gratuitement pour un vêtement dans une ville - Chicago - où la violence connaît une recrudescence spectaculaire ces dernières années, déteint sur tout le répertoire de cet excellent Care for Me - qui fait suite à Bucket List Project (2016), album intéressant, quoique moins abouti.

Souffrance post-traumatique, solitude, isolement, désemparement dans un environnement numérique déshumanisé, foi mystique ébranlée par tant d'absurdité vécue en ce bas monde, amours difficiles en cette époque confuse et... espoir malgré tout.

On sait que les moments les plus sombres et les épisodes les plus dépressifs de l'existence peuvent illuminer les artistes qui en extirpent la beauté cathartique. En voilà une autre démonstration. 

Âgé de 23 ans, Saba s'efforce de réévaluer à la hausse le pouvoir de l'empathie, de maîtriser la peur et la panique, d'éviter qu'on lui imprime un code-barres sur les poignets, d'évoquer ses rêves inassouvis et de magnifier les épisodes-clés de son existence.

Qui plus est, la musique et le flow du rappeur sont à la hauteur de son propos sensible et intelligent.

Sur des tempos lents ou moyens, ce très doué MC peut se permettre des phrasés en doubles, triples ou quadruples croches, sans jamais faire dans l'ostentation. 

Ses musiques s'avèrent épidermiques, raffinées, sensuelles, puisant tant dans l'atelier des outils numériques que dans celui des musiques instrumentales jazzy groove - trompette, guitares, batterie, violon, claviers.

Force est d'observer que la conception n'est pas typique de la méthodologie hip-hop: plutôt que d'avoir fait appel à une tribu entière de beatmakers, comme c'est devenu la norme, Saba a créé Care for Me de concert avec le producteur/réalisateur DaedaePivot et le multi-instrumentiste Daoud. Ce qui nous permet du coup d'espérer une version instrumentale devant public, mais bon... C'était idem pour le superbe Flower Boy de Tyler, the Creator, et ce dernier a préféré se produire seul avec des machines lors de sa récente tournée.

Quoi qu'il advienne sur scène, cet album de Saba s'adresse aux mélomanes en quête de raffinement et férus de culture afro-américaine. Prédisons la pérennité de cet enregistrement plus que probant, de surcroît sa sélection dans les listes de fin d'année.

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HIP-HOP. Care for Me. Saba. Saba Pivot, LLC.