Dans Entre le meilleur et le pire, un artiste revisite, une chanson ou un moment à la fois, les sommets et les vallées de son œuvre. « Ça me fait plaisir d’être votre nouvelle victime », blague Pierre Flynn, qui célèbre 50 ans de carrière et qui, malgré sa réputation de prince des ténèbres, n’a jamais cessé de croire qu’il est doux d’être en vie.

Ton meilleur souvenir de la première partie de King Crimson

C’était un des premiers gros shows d’Octobre [le 19 septembre 1973 au Capitole de Québec et le lendemain au Capitole de Montréal]. L’équipe technique de King Crimson avait été chic avec nous. On ne nous avait pas mis super fort, mais on ne nous avait pas maltraités. Les gars du groupe faisaient mine d’être curieux vis-à-vis des ti-culs qu’on était. Je me souviens de notre gérant, qui me donne l’enveloppe contenant notre cachet : 60 $, pour tout le groupe, mais on était tellement contents de faire la première partie du meilleur band au monde.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Pierre Flynn

Juan Rodriguez, un de nos grands journalistes rock, avait écrit le lendemain dans le Montreal Star : « Octobre almost steals show. » On se pétait les bretelles.

Ta chanson qui t’émeut le plus

Extrait de Ma petite guerrière, de Pierre Flynn
0:00
 
0:00
 

C’est Ma petite guerrière [2001]. Surtout quand j’arrive à la fin. Je l’ai écrite quand ma fille avait 4 ans, elle en a maintenant 31.

[Pierre récite] « Nous te léguons étrange terre/Où les moutons n’ont plus de mère/Où l’Antarctique perd sa tunique/Et les manchots se noient dans l’eau… » Juste après ça, il y a un danger pour moi.

[Il reprend] « Mais quand je te vois dans le couloir… » [Sa voix se serre] « Il me revient un drôle d’espoir/Car nous sommes là dans la lumière/Bonjour mon chat, ma petite guerrière ». Tu vois, je fais juste dire le texte et je craque, c’est pour ça que je ne peux plus la chanter en spectacle.

Ma fille ne m’a jamais vraiment dit ce qu’elle en pense, parce qu’on a une relation quand même pudique. Ce n’est pas le genre d’affaire qu’elle va me dire, mais ce n’est pas le genre d’affaire qu’elle a besoin de me dire.

Ta chanson la plus bizarre

C’est La valse à 11 temps [1975] d’Octobre. Elle est construite en 7 et en 11 temps avec un texte un peu bizarroïde : « Assis sur mon steak, j’attends tout le temps l’extase/Excité dans le vide, avide, absent, j’m’ennuie ». Je jouais avec les sonorités.

Un jour, je partageais une loge au Festival d’été de Québec avec Fred Fortin, on se met à jaser et il me dit : « La toune d’Octobre qui me fait le plus tripper, c’est La valse à 11 temps. » Mon estime pour la chanson a augmenté tout d’un coup de quelques coches. J’aimerais ça entendre Fred la chanter.

La chanson que tu aimes plus aujourd’hui que lorsque tu l’as créée

Extrait de L’ennemi, de Pierre Flynn
0:00
 
0:00
 

Récemment, L’ennemi [1987] retrouve une pertinence vis-à-vis de la situation mondiale. Je sens que je peux la réassumer pleinement. Il y a dans cette phrase du refrain – « Il est là l’ennemi, l’ennemi est là, et il guette ton cœur » – quelque chose de banal, mais qui résonne.

PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Flynn en novembre 1991

À trop montrer du doigt, on ne s’examine peut-être pas assez, alors que l’ennemi, il est en nous aussi. Tous les jours est une espèce de petit combat pour aller du côté plus lumineux des choses. Il faut arrêter de s’imaginer que l’intolérance n’est toujours que l’apanage des autres.

Un de tes plus grands regrets

Gerry Boulet m’était arrivé avec une musique pour Rendez-vous doux [1988], qui serait son dernier album, mais on ne le savait pas encore. C’était une musique inspirée par Fats Domino, très majeure, très happy, pas tout à fait ma tasse de thé, parce que moi, c’est connu [il sourit], je suis le prince des ténèbres.

Ce n’était pas évident de trouver un filon, mais j’ai fini par écrire un texte fleur bleue dans lequel je parle du lilas et de la pervenche. J’appelle Gerry pour lui annoncer que ça a débloqué et il me répond : « Pierre, je suis en train de mixer l’album. » J’arrivais trop tard.

Les gens disent souvent qu’ils ne regrettent rien dans la vie, et moi, je regrette un paquet d’affaires, surtout celles que j’ai faites en retard. J’ai enregistré la chanson, Le chemin des cœurs volants [1991], sur un de mes albums, mais je regrette encore de ne pas pouvoir entendre Gerry la chanter.

Extrait du Chemin des cœurs volants, de Pierre Flynn
0:00
 
0:00
 

La chanson que tu as mis le plus de temps à finir

Pour Ma prière [2001], j’avais la musique, un peu soul, depuis un bout, et j’avais peur de la ruiner avec un mauvais texte. La solution que j’ai trouvée pour ne pas la ruiner, ç’a été de ne rien faire, pendant longtemps, mais les chansons ne s’écrivent pas toutes seules.

Extrait de Ma prière, de Pierre Flynn
0:00
 
0:00
 

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Flynn en février 2002

Un jour, je décide de m’enfermer dans une chambre d’hôtel miteuse de Québec jusqu’à ce que je trouve la clé de cette chanson. Ça prendrait le temps que ça prendrait, je ne ressortirais pas sans la toune. Mais au bout de trois jours, rien ne s’était passé.

Un soir, je suis allé prendre une bière à la Fourmi Atomik, rue d’Auteuil, et quand je suis ressorti à 3 h du matin, j’étais un peu plus de bonne humeur. Je suis grimpé sur les remparts, et pouf, ça m’est tombé dessus : « À mes pieds un tapis de bijoux/C’est ma ville allongée dans sa nuit/Je suis monté jusqu’au garde-fou/Me disant qu’il est doux d’être en vie ».

Ton meilleur spectacle en duo dont personne ne se souvient

En 1986, je croise Gerry [Boulet] dans un show de Pauline Julien au Club Soda. Gerry me présente son ami Maurice Painchaud, des Îles-de-la-Madeleine, qui voulait que Gerry aille jouer dans son auberge. Gerry me dit : « Câline, Pierre, viens avec moi, on va faire ça à deux. » Il commençait à être tard, je dis oui, oui, mais j’étais certain qu’il ne s’en souviendrait pas. Le lendemain, le téléphone sonne. C’était Gerry. J’étais pogné.

Je faisais un premier set avec mes chansons, Gerry m’accompagnait pour deux, trois tounes, puis Gerry jouait les siennes et ensuite, au troisième set, on jouait du Ray Charles et du vieux rock’n’roll. On a fait sept, huit spectacles. Personne ne se souvient de ça, mais on a eu ben du plaisir.

Ton meilleur medley dans le spectacle d’un autre

[Durant la tournée À fond d’train, réunissant Offenbach et Plume Latraverse]

En 1983, Octobre venait de se séparer et peut-être parce que Plume voulait me donner une job, il me propose d’embarquer avec lui comme claviériste. Et en plus, il me demande : « Ça te tente-tu de faire quelques chansons à toi ? »

J’avais monté au milieu du show de Plume un medley de trois tounes : Le chant du souterrain, La maudite machine et une autre. Mais j’avais posé une condition à Plume : Ce serait ben l’fun que tu chantes La maudite machine avec moi.

Il a grogné un peu, parce que Plume fait rarement des interprétations, mais il a dit oui, et ça a donné un numéro explosif.

Extrait de La maudite machine, de Pierre Flynn
0:00
 
0:00
 

La chanson que tu as le plus longtemps remisée

C’est la première fois dans mon spectacle actuel que je mets La maudite machine [1972], depuis la fin d’Octobre. Comme c’est un petit tour de mes 50 années de vie musicale, je me disais que le moment était venu de la réhabiter.

PHOTO PIERRE CÔTÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Le groupe Octobre en octobre 1974

Je fais quand même tout un préambule parce qu’il y a des choses qui sont datées dans le texte. Robineux, on ne dit plus ça. On ne parle plus de la lutte des classes. Mais sous la surface des choses, la machine, même si le vocabulaire a changé, elle roule et elle ronfle encore confortablement. Trop confortablement.

La chanson dont tu es le plus fier

On m’a posé la question récemment et j’ai répondu Croire [2001]. Mais aujourd’hui, j’ai envie de dire que c’est Étoile, étoile [2015]. Je suis un fabricant de chansons, je ne prétends pas être un poète, mais j’aime penser que certaines de mes chansons ont une dimension poétique, quelque chose d’un petit peu mystérieux.

Extrait d’Étoile, étoile, de Pierre Flynn
0:00
 
0:00
 

Je l’aime parce qu’il y a à l’intérieur le souhait d’une bienveillance.

Le 27 février au Gesù à l’occasion de Montréal en lumière et en tournée partout au Québec

Consultez la page du spectacle