Après l’Orchestre symphonique de Montréal le 15 septembre, c’était au tour de l’Orchestre Métropolitain de faire sa rentrée dimanche après-midi à la Maison symphonique. Au menu : une vibrante intégrale de Daphnis et Chloé de Ravel et une création mettant en vedette la chanteuse inuk Elisapie Isaac.

Le concert, présenté devant une salle presque comble, a débuté par un éloge à Lise Beauchamp, ancien hautbois solo de l’Orchestre morte subitement au mois d’août. Après un émouvant témoignage de Yannick Nézet-Séguin, la formation a interprété la Marche funèbre de la Symphonie no 3, Eroica, de Beethoven pendant qu’une vidéo rendait hommage à la disparue.

Vint ensuite LE moment dépaysant de l’année classique. Elisapie — son nom d’artiste — arrive sur scène vêtue d’une robe noire, rouge et argent en strass et arborant deux immenses losanges rouges aux oreilles. Elle est précédée de son amie Sylvia Cloutier, pour le chant de gorge et le tambour inuit.

PHOTO SYLVAIN LÉGARÉ, FOURNIE PAR L’ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN

La chanteuse inuk Elisapie Isaac dimanche après-midi, à la Maison symphonique

D’une quinzaine de minutes, Nunami Nipiit (« échos de la terre » en inuktitut) comprend deux chansons du dernier disque de l’artiste autochtone. Le reste — beaucoup — est de l’habile arrangeur François Vallières, altiste dans l’orchestre, qui nous donne pour ainsi dire un avant-goût de Daphnis et Chloé dans les transitions d’orchestre (magnifiques passages aux cuivres et savoureux frottements harmoniques).

Les mélodies incantatoires de Mme Isaac tournent souvent autour des mêmes notes, ce qui n’est pas en soi un défaut. La première est plus extérieure que la seconde, plus méditative. On apprécie l’interprétation — amplifiée — de la chanteuse, une vraie « performeuse » entrant dans une sorte de transe dès qu’elle a un micro en main.

Sa collègue apporte une couleur tout à fait originale, avec des chants de gorge passant à la vitesse d’un kaléidoscope de grondements abyssaux à des exclamations suraiguës.

L’insertion d’œuvres d’artistes « pop » à l’intérieur des concerts classiques (les orchestres leur réservent habituellement des concerts exclusifs) est-elle une voie d’avenir ? N’y a-t-il pas un risque de faire fuir une partie du public, plus portée vers la musique savante (celle qui écoute L’art de la fugue en boucle) vers l’OSM ? On verra. Les spectateurs de dimanche, en tout cas, ont chaleureusement ovationné les interprètes.

Une interprétation toute en souplesse

Il y avait de toute façon un gros morceau bien riche à se mettre sous la dent après la pause. On n’entend pas si souvent en concert l’intégrale du ballet Daphnis et Chloé, une œuvre aux sonorités d’un autre monde dont on ne joue souvent que des extraits (Ravel en a fait deux suites).

L’année 2022 est donc faste en la matière, avec une exécution au Festival de Lanaudière en juillet par l’OSM, et celle du Métropolitain de dimanche. Tant mieux, car l’entendre en concert fait toujours un effet bœuf.

PHOTO SYLVAIN LÉGARÉ, FOURNIE PAR L’ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN

Le chef Yannick Nézet-Séguin dimanche après-midi, à la Maison symphonique

Yannick Nézet-Séguin connaît très bien cette partition, lui qui l’a excellemment enregistrée il y a une dizaine d’années avec son ancien orchestre de Rotterdam pour l’étiquette BIS. Et cela paraît.

On peut bien chipoter un peu sur le chœur, pas toujours idéal en termes d’intonation et de couleur (la partie a cappella après que Daphnis s’est prosterné). Ou sur certaines mélodies des vents en filigrane qui ressortent peut-être un peu trop.

Mais le chef réussit le principal pari : la souplesse. Ravel parsème sa partition d’indications comme « animez peu à peu », « retenu très légèrement » ou « très libre », parfois de manière très rapprochée. Il faut à tout prix éviter les hiatus lors des transitions, ce que Nézet-Séguin réussit comme très peu.

On goûte particulièrement les passages lents, que le chef laisse chanter, contribuant à créer des atmosphères qui cadrent bien avec les situations décrites dans le livret, que le public peut lire au fur et à mesure sur un écran au-dessus de la scène.

Un plus gros bémol toutefois pour les passages rapides, qui pourraient souvent être plus tranchants. Ravel écrit parfois « très rude » dans sa partition. On pense aux crescendo de la « Danse guerrière », qui gagneraient sans doute à être plus enlevés, ou à l’épisode des chèvre-pieds.

Le concert sera offert en webdiffusion du 21 au 30 octobre.