Aquanaute, l’album qui a révélé Ariane Moffatt, a 20 ans cette année. Plutôt que se « célébrer elle-même », elle a invité des artistes de la génération montante à faire des relectures de ses chansons. Il en est ressorti Aquanaute 2022, un mixtape aux teintes électros auquel participent près de 20 artistes, dont Calamine, Laurence-Anne et Thierry Larose, qui paraît alors que les prochains mois s’annoncent foisonnants sur scène pour l’autrice-compositrice-interprète aujourd’hui dans la quarantaine.

Ce n’est pas son succès qu’Ariane Moffatt a eu envie de souligner alors que son premier disque a 20 ans. Songer au temps qui s’est écoulé depuis la sortie d’Aquanaute lui rappelle plutôt « l’Ariane de 22 ans qui est au début ». « Ce que j’aime célébrer, c’est le premier geste, dit-elle, le moment où on se lance. »

D’où l’idée de tendre la main – et les oreilles – à la génération qui la suit. Des artistes encore émergents, qui ont parfois déjà un album à leur actif, et qui, comme elle, ont un penchant pour les musiques d’inspiration électronique. « Je suis allée vers des gens qui ont un peu ce rapport à la musique, ce côté décloisonné », confirme-t-elle.

Ariane Moffatt a donné carte blanche à ses invités. Elle a assuré la direction artistique de cet Aquanaute 2022 et, surtout, s’est réservé la tâche qui la fait le plus tripper : le mixage. Elle avait envie d’une espèce de mixtape de voix et de sonorités différentes, une orientation qu’elle a soulignée en ajoutant des intermèdes parlés où elle revient sur sa première rencontre avec Michel Bélanger, alors patron de l’étiquette de disques Audiogram, ou évoque les séances d’enregistrement avec deux précieux collaborateurs : Francis Collard et Joseph Marchand.

Un son et une atmosphère

Aquanaute, c’est d’abord un son. Un alliage enveloppant de musiques acoustique et électronique encore rare dans la chanson québécoise à l’époque de sa parution. Inspirée par la tournée Lilith Fair, Alanis Morissette, Ani Di Franco, Goldfrapp et Portishead, Ariane Moffatt voulait tout faire sauf du « folk à la québécoise » comme il s’en faisait et s’en fait encore beaucoup.

Aquanaute, c’est aussi une atmosphère. Une bulle empreinte de tristesse, mais habitée par un désir d’envol, sinon d’apesanteur. L’aspect plus doux de cette bulle sonore contrastait avec ce que la jeune femme vivait à l’intérieur : des tiraillements au sujet de son orientation sexuelle, le fait d’être une femme en musique, d’être la seule fille dans un groupe, ce sentiment d’être imposteur.

Je vivais ça toute seule, et je me débattais beaucoup avec ça.

Ariane Moffatt

Elle croit avec le recul que ce disque, qui exprime une quête de son identité profonde, peut témoigner de ce que ça peut être que de vivre de tels questionnements lorsqu’on a peu de modèles. « Il y a de petits pas que j’ai faits dans mes différences seule dans mon coin et, à un moment donné, j’ai reçu un écho, dit-elle. Ça m’a soulagée, dans les dernières années. » Elle ajoute que ç’a été une chance pour elle d’avoir la musique pour l’accompagner et lui permettre de sublimer ses « grands vertiges » à travers des chansons qui peuvent résonner chez d’autres.

Retrouver la scène

Deux décennies plus tard, Ariane Moffatt est plus sereine et même en paix avec le fait que ses créations demeurent empreintes de tristesse. Elle ressent aussi visiblement son retour sur scène avec enthousiasme, même si le dernier arrêt des spectacles lui a pesé psychologiquement. Elle se trouve chanceuse d’avoir une belle tournée devant elle. « Et j’ai beaucoup de gratitude pour les gens qui sortent voir des spectacles, ajoute-t-elle. Je ne suis pas déprimée quand je sors de scène ! »

Au cours des prochains mois, elle s’offre plein de cadeaux. Deux concerts avec l’Orchestre symphonique de Québec (et la participation spéciale de Martha Wainwright) au mois d’avril, puis un spectacle aux Francos où la matière de son album Incarnat sera magnifiée par l’ajout d’un ensemble de 10 cordes. Les arrangements sont signés Antoine Gratton dans les deux cas.

Elle a aussi une tournée de festivals en vue pour l’été. Avec des proches, qui se trouvent à être des musiciens de haute tenue : Marie-Pierre Arthur à la basse, Alex McMahon aux claviers, Joseph Marchand à la guitare et Jean-Phi Goncalves à la batterie. Elle appelle ça « le groupe des amis ». On pressent que ce seront de fort belles retrouvailles.

Aquanaute 2022, offert maintenant. Au Grand Théâtre de Québec avec l’OSQ les 21 et 22 avril. Au Théâtre Maisonneuve le 7 juin.

Trois reprises d’Aquanaute

Près de 20 artistes émergents, dont de nombreuses femmes, offrent une relecture d’une chanson de l’album Aquanaute d’Ariane Moffatt, qui a 20 ans cette année. Trois d’entre eux racontent leur démarche.

Velours Velours : Poussière d’ange

PHOTO ÉLOÏSE KLINCK, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Velours Velours

Raphaël Pépin-Tanguay, l’artiste derrière le pseudonyme Velours Velours, n’était pas né quand Aquanaute est paru. Il était dans le ventre de sa mère. Et c’est peut-être à ce moment qu’il a entendu pour la première fois Poussière d’ange d’Ariane Moffatt, chanson qu’il reprend sur Aquanaute 2022. « On peut la prendre de plusieurs façons, cette chanson-là. Comme Ariane la fait, on pourrait dire qu’elle parle à une amie ou qu’elle se parle à elle-même, dit-il. Moi, je n’ai pas le choix de parler soit à ma copine, à une amie, à ma sœur. » Que cette chanson qui parle délicatement d’avortement soit portée par une voix masculine impose un revirement de perspective fort intéressant. Elle ne transmet plus d’inquiétude, mais du réconfort. « J’ai dû me rapprocher de quelque chose de doux, l’émotion que la chanson peut transmettre, plutôt que de faire un réarrangement qui, musicalement, aurait pu être plus complexe, explique Velours Velours. J’ai dû me rapprocher du propos. »

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Marie Claudel : Dans un océan

PHOTO SIMON LEBRUN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Marie Claudel

Dans un océan est l’une des premières chansons que Marie Claudel a apprises à la guitare, à l’orée de l’adolescence. « Avec La barricade, c’est vraiment ma préférée de l’album », précise-t-elle. En s’y replongeant, elle a aussi replongé dans son enfance, moment de sa vie dont elle garde une grande nostalgie. « Elle me fait du bien », dit-elle encore à propos de la chanson d’Ariane Moffatt. Marie Claudel a choisi de l’interpréter à la guitare baryton, dont la sonorité est plus basse que celle d’une guitare « normale », sans être aussi grave que la basse. Elle a aussi mis de l’avant la mélodie grattée à la six-cordes, sans perdre le caractère planant de la version originale. « Pour moi, cette chanson est vraiment un voyage. C’est ce que je ressentais quand je l’écoutais et j’avais envie de refaire ça à ma façon. »

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Laurence-Anne : Bien dans rien

PHOTO XAVIER CYR, FOURNIE PAR BONSOUND

Laurence-Anne

Ariane Moffatt fait partie des chanteuses que Laurence-Anne écoutait beaucoup quand elle s’est mise à la musique. Inutile de dire qu’elle a reçu comme une fleur l’invitation qui lui a été faite de participer à Aquanaute 2022 sur laquelle elle interprète Bien dans rien. « J’avais envie d’y aller avec une chanson moins connue de l’album, explique-t-elle. On avait carte blanche, on pouvait choisir la chanson qu’on voulait. Je me suis lancée avec celle qui m’avait donné le plus d’émotions ou de frissons quand j’ai réécouté le disque au complet. » Elle en aimait le caractère répétitif des paroles, qu’elle envisage comme un mantra. Elle pousse le versant électro du morceau, avec l’intention d’en faire un « vrai remix ». Sa relecture fait de l’œil à la piste de danse et évoque les sonorités technos du tournant du millénaire.

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