Pour réfléchir sur le temps, il faut… du temps. C’est le luxe que s’est offert Tire le coyote sur le chemin d’un cinquième album studio, Au premier tour de l’évidence. Dans son Saint-Élie-de-Caxton d’adoption, il s’est pressé de ralentir la course des aiguilles et des ego. Entrevue sans minuterie.

Au terme d’une succession effrénée d’albums et de tournées, Tire le coyote a eu envie de lenteur. Une quête qui s’est accélérée avec l’achat, en janvier 2021, d’une maison de campagne à Saint-Élie-de-Caxton, en Mauricie.

« On vit dans une société axée sur la productivité, la performance, avec des horaires très remplis, explique Benoit Pinette, de son vrai nom, au bout du fil. Intérieurement, j’ai toujours su que je ne fittais pas dans ce genre de rythme là. J’avais l’impression de contourner l’essentiel. » C’est cet essentiel que le chanteur poétise comme « le premier tour de l’évidence », titre de son cinquième album studio.

Habitué de gribouiller des vers « sur le coin de la table de cuisine » et prompt à « rire un peu des artistes qui partaient en résidence ou dans un chalet avec une belle vision utopique », Tire le coyote a finalement osé trapper le temps. Il s’est donné une bonne demi-année pour « accumuler un maximum de chansons ».

Je suis obligé de dire que ça a fait une différence pour moi. Je suis rentré dans un mode beaucoup plus lent, serein, calme, ce qui a influencé mon rapport au monde, mes réflexions. Je suis rentré dans une période d’observation et de contemplation.

Tire le coyote

Résultat ? Quatre ans après Désherbage, le chanteur originaire de Sherbrooke fait paraître, au 11e jour du mois, 11 nouvelles chansons à haute teneur métaphysique. « Ici il n’y a plus de frontière / Ni de souffle en perdition / Que le tremblement des astres / Dans le manège de l’espace », récite en début d’album l’écrivaine innue Joséphine Bacon.

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« C’était la personne idéale, avec sa grande capacité de rendre un texte puissant, sa voix, sa fragilité, sa sagesse. Je l’ai écrit en pensant à Joséphine, mais sans savoir si elle allait accepter. »

Mes yeux affichent complet offre une douce transition entre les aventures chansonnières et poétiques de Benoit Pinette, qui faisait paraître le recueil La mémoire est une corde de bois d’allumage il y a un an presque jour pour jour. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il s’est mis à côtoyer abondamment Robert Lalonde… dans les présentoirs des librairies. L’écrivain prolifique venait de faire paraître ses carnets La reconstruction du paradis.

Tire le coyote est allé à sa rencontre, page par page. « Pendant l’écriture de l’album, j’ai lu back à back douze ou treize livres de Robert Lalonde. Je suis rentré dans son œuvre, qui m’a touché très fortement. Ça va paraître spirituel ou ésotérique, mais c’est comme si un guide m’avait mis une main sur l’épaule et m’avait dit : “Voici ce que tu fais depuis le début de ta carrière.” Comme s’il mettait des mots sur ma démarche artistique. »

Mêmes tourments, mêmes « réflexions sur la vie, la mort et le temps qui passe ». « Souviens-toi tu faisais bouillir le temps / Pour pouvoir consommer l’immédiat », viendra à chanter Benoit Pinette sur l’ode à l’enfance Quand tout espérait demain.

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Fruit d’une riche correspondance, Lalonde est non seulement cité dans la chanson Sillonner la lenteur, mais il a aussi partagé l’écriture de la magnifique Nous brûlons jusqu’à l’os, « à la manière d’un cadavre exquis ». « Je suis papillon ivre dans le feu du fanal / Et toi l’hirondelle au grand bal de l’azur », y décrit Tire le coyote, rejoint par Katie Moore, grande dame du folk montréalais et complice de Socalled.

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Tout au long de l’album, Tire le coyote disserte sur la finitude (Trésorière), égratigne les abus de pouvoir et la culture de la bullshit (La couleur du vent) et met en relief les faux-semblants de l’industrie musicale (Matière première).

Au-delà du folk

« On ne compte plus les artifices sur le marché de la pertinence / Moi je resterai en coulisse pour mieux chérir l’indifférence », plaide le chanteur dans cette dernière, l’une des pièces où se greffe un chœur sélect de six voix féminines. Une chaleur grégaire qui colle avec la direction musicale du disque, entre americana signature – Benoît Villeneuve, alias Shampooing, reste garant des guitares – et aveu d’amour à la musique ambiante.

« J’écoute beaucoup de piano solo, de listes de lecture hyper ambiantes quand j’écris pour ne pas me faire déconcentrer par des voix ou des mots, dit-il. On m’a souvent associé à la guitare, au folk, mais je suis vraiment un amateur de vieux synths. J’avais envie de mettre de l’avant mon amour des claviers. Ça reste des chansons folk, mais elles sont enrobées de pads très lents baignés dans le reverb et de sons célestes, méditatifs. »

Heureuse coïncidence, Benoit Pinette a pris maison à cinq minutes de marche du studio de Jeannot Bournival, voisin de Saint-Élie-de-Caxton devenu ami, puis collègue. Ensemble, ils ont fait paraître le mini-album de reprises Le temps des autres en mai 2021 avant de se frotter à la coréalisation d’Au premier tour de l’évidence. Une fois de plus, la lenteur revient dans la conversation lorsqu’il s’agit de décrire le contexte d’enregistrement, « des blocs de deux ou trois heures sans aucune pression ».

À la lumière des écoutes, nous soumettons à Benoit Pinette cette impression qu’il y est allé plus mollo – pour reprendre une expression à la mode – sur le trémolo. Les effets de réverbération ont peut-être un peu « étouffé » ses oscillations vocales, avance-t-il, en soumettant une autre hypothèse.

Là où je verrais une différence avec l’enregistrement de mes autres albums, c’est surtout dans ce que je vais appeler un apaisement vocal ; j’avais l’impression de vouloir une bulle musicale. J’ai enregistré mes vocals en poussant beaucoup moins, en étant plus doux dans le chant, ce qui fait en sorte, je pense, que le trémolo sort moins.

Tire le coyote

Si la voix haut perchée de Tire le coyote semble encore diviser davantage que le projet de loi 21, le principal intéressé assure être « passé à autre chose ». « Je ne suis pas la première voix un peu weird dans l’histoire de la musique. Si tu es habitué d’écouter des chansons à Star Académie ou à La voix, tu risques de ne pas aimer la mienne. »

Un public fidèle et nombreux pourra néanmoins l’entendre très bientôt sur scène. Si le coyote a su apprivoiser le temps, le temps le lui rend bien. « Je suis de nature très anxieuse dans la vie, mais des fois, il faut s’arrêter pis regarder le positif des choses : à quel point j’ai des timings parfaits. J’ai fini ma dernière tournée juste avant la pandémie, pis là, je repars et on annonce que les salles vont pouvoir ouvrir à 100 % cinq jours avant le début de ma tournée. C’est quand même incroyable. »

Pour la première fois, Benoit Pinette et sa meute de cinq musiciens comptent offrir un spectacle « plus préparé », avec un minimum de mise en scène et des jeux d’éclairage réfléchis.

Le luxe du temps, disions-nous.

Au premier tour de l’évidence

Folk

Au premier tour de l’évidence

Tire le coyote

La Tribu
Offert dès maintenant

En concert le 21 avril au Théâtre Maisonneuve, à Montréal, et le 23 avril au Grand Théâtre de Québec

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