Tout en naviguant sur le succès vertigineux de son premier disque, l’auteur-compositeur-interprète Vincent Roberge, alias Les Louanges, a vécu les effets de la vingtaine et de « la vraie vie qui rentre dedans ». Son deuxième album, Crash, qui paraît ce vendredi, raconte tout cela.

À la toute première question que nous lui posons, Vincent Roberge nous dit (en riant) qu’il a justement écrit l’album Crash pour ne pas avoir à y répondre.

Nous lui demandions ce que les trois dernières années lui avaient donné et ce qu’il était devenu, en tant qu’homme et en tant qu’artiste, après le grand retentissement de son premier disque long, La nuit est une panthère (2018). « Cet album a été une réponse un peu inconsciente que je me suis donnée », dit le sympathique musicien.

Sur ce nouveau disque, l’auteur-compositeur-interprète dépeint en paroles imagées, en mélodies R&B et pop et en expérimentations instrumentales ce qui s’est passé entre ses 23 et ses 26 ans. Et il s’en est passé des choses!

« Je dirais simplement que ces dernières années, ç’a été la jeune vingtaine, résume Vincent Roberge. C’est charnière. Tout se passe, tout arrive pour vrai. Ç’a été les vraies premières fois, la désillusion, les risques, la vraie vie qui rentre dedans. Tu tombes en amour pour vrai, c’est pas du niaisage. C’est les vrais coups durs. Mais en plus, j’ai commencé à faire des shows et à passer à la télé. Ça m’a fait vieillir rapidement, je pense. »

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Plus intime

Vincent a commencé à travailler sur les chansons de Crash sans vraiment avoir conscience qu’il confectionnait son deuxième album. Rentré de Marseille en urgence en mars 2020, alors qu’il entamait une tournée en Europe, il a fait sa quarantaine dans un chalet. « Comme un bon vieux bonhomme, au lieu de dealer avec mes sentiments du moment, au lieu de faire face à la réalité, j’ai travaillé en malade, raconte-t-il. Ça a lancé les bases de 70 % de l’album. »

La pause de la pandémie lui a ainsi permis de « digérer les trois dernières années », de regarder en arrière. Sur son nouveau disque, il ouvre grand la porte qu’il avait entrebâillée avec La nuit… pour dévoiler un pan de son intimité.

« J’ai gagné une confiance nouvelle avec les années. Je me sens plus en contrôle de ce que je fais, je connais mes limites, mes forces, mes faiblesses », ajoute-t-il.

On en revient au thème de la vingtaine : je ne suis pas encore un homme, mais je ne suis plus le même petit gars. Le moyen-petit gars que je suis est plus au courant de ce qu’il est, il est beaucoup plus assumé.

Vincent Roberge, alias Les Louages

« Ça a nécessairement changé les textes, ça m’a aidé à arriver à quelque chose de plus personnel. Je ne me cache pas derrière douze mille métaphores. »

Des morceaux comme Chaussée ou Facile détaillent les ravages d’une peine d’amour, tandis que Qu’est-ce que tu m’fais raconte l’obsession pure et dure. Cruze fait la chronique d’une jeunesse qui flirte avec la drogue. Bolero dépeint la débauche post-succès. Tous ces textes ont en commun de ne témoigner que de l’expérience de l’auteur. « Il y a de quoi d’un peu vulgaire d’essayer de parler pour quelqu’un d’autre. Si j’écris de mon point de vue, je ne peux pas me tromper sur mes propres intentions, dit Vincent Roberge. Il n’y a pas plus vrai que ça. »

L’histoire qu’il relate sur Chaperon – « la chanson la plus délicate que j’ai jamais eu à écrire, sur le sujet le plus hard que j’ai jamais abordé » – n’est pas la sienne. Mais il parle de sa propre perception, lui qui a été aux premières loges lorsqu’un de ses meilleurs amis a appris que sa copine s’était fait agresser sexuellement. Chaperon raconte l’envie de vengeance et le désespoir dont Les Louanges a été témoin. « C’est aussi ça que je veux dire quand je parle de la vraie vie qui rentre dedans. Je ne me suis jamais senti aussi impuissant. »

De la musique pas « normale »

Les textes de Crash percutent. La plume de Vincent Roberge est plus acérée, plus ambitieuse, mais aussi plus épurée. « Je voulais être capable d’avoir un langage familier-soutenu », dit celui qui, en tant que grand amateur de rap, puise dans ses codes pour l’écriture. « Pour moi, c’est une espèce d’idéal. J’ai travaillé fort pour que ma plume soit aussi efficace émotionnellement que techniquement. »

Sur le plan de l’instrumentation, Félix Petit et lui ont voulu « créer un son propre [aux Louanges], avoir de quoi qui ne ressemble pas à grand-chose ». Quelque chose qui ne répète pas non plus La nuit est une panthère, bien qu’il s’agisse « du même son qui se développe de plus en plus ».

Leur quête a fait appel à l’instinct comme à la réflexion. « Je suis un fan de musique à la base. Alors, je me laisse aller vers ce qui me plaît, ce que j’ai envie d’entendre. Et après ça, je travaille avec mon boy Félix, qui a une expression que j’ai adoptée : l’idée, c’est que ça ne sonne pas “normal”. Pour nous, il n’y a pas vraiment de bonne et de mauvaise musique, mais il y a de la musique un peu “normale”. Il n’y a rien de mal avec ça, mais pour nous, si ce qu’on fait sonne trop normal, il faut qu’on change de quoi. »

Duo de rêve

La R&B, la soul et le jazz des Louanges dévoilent plus leur côté pop sur ce nouveau disque. Mais ce qui prime, c’est le mélange des genres, l’exploration. La chanson-titre, collaboration avec Corneille, l’illustre bien.

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Ce duo trottait dans la tête de Vincent depuis longtemps. Tout est parti d’une question que les musiciens se font (trop ?) souvent poser par certains journalistes : « Si tu avais à décrire ton style, ce serait quoi ? » « Avec mon équipe, on disait en joke que mon style, c’est du R&B conscient, raconte le musicien. Et sur une note plus sérieuse, on s’est demandé c’était qui, le king du R&B conscient au Québec… On faisait le premier album, personne ne me connaissait, j’étais rien, mais je me disais quand même : “Imagine si Corneille était sur mon album…” »

Quand est venu le temps du deuxième disque, l’idée n’a plus semblé si inaccessible.

J’ai dit que j’allais le contacter. Sauf que même si je suis quelqu’un d’extraverti, je suis aussi introverti et gêné pour certaines affaires… Et j’ai une bonne tendance à procrastiner !

Vincent Roberge, alias Les Louages

Bref, le mixage d’une partie de l’album a débuté, et Corneille n’avait pas encore été joint. L’univers a alors pris les choses en main. « J’arrive un matin aux studios Planète et dans le parking, quelqu’un dans la voiture à côté me dit : “Heille, es-tu Les Louanges ?” Les fenêtres étaient teintées, mais la personne sort sa tête… et c’est fucking Corneille ! » Les deux musiciens discutent, Vincent lui dit qu’il a « une toune pour [lui] » et, quelque temps plus tard, Corneille lui envoie son couplet. « Il avait tout de suite catché ce que j’avais envie de dire avec l’album et avec cette chanson, dit-il. Il m’a envoyé son verse, et je capotais. »

C’était il y a de longs mois déjà. Puisque l’album est terminé depuis juillet et que Vincent est « déjà passé à autre chose », il a plus hâte que jamais de remonter sur scène pour le présenter à son public. Il sait qu’on ne peut rien prévoir ces temps-ci (son lancement a d’ailleurs été annulé) et il accepte la situation en se concentrant seulement « sur ce [qu’il] peut contrôler ». Il reste que « je suis tellement dû pour aller faire des shows. Je me pratique, je m’entraîne. L’année 2022, c’est les championnats. Je m’en vais là et je ne vais laisser de chance à personne. »