Sur Hemenetset, Jorane revient à son langage unique : un chant sans paroles où la voix est un instrument guidé par l’instinct. Elle s’élance aussi dans un projet ambitieux qui trouvera son aboutissement dans un spectacle concept présenté au printemps.

Il y a des mots qui vont comme un gant à Jorane : instinct, liberté, risque. Ils n’arriveront jamais à décrire sa musique – le peut-on vraiment ? –, mais disent néanmoins beaucoup de ce qui a toujours motivé ses choix artistiques, en particulier dans ses disques sans paroles.

Hemenetset, son plus imposant projet personnel depuis environ une décennie, est une œuvre dense : huit morceaux, dont six font plus de neuf minutes. Environ 1 h 20 min de musique patiemment développée au cours des six dernières années au fil de séances laboratoires et d’une centaine de jours de studio qu’elle envisage comme la trame sonore du spectacle qui sera créé en avril à Québec.

« Il y a une prise de risque énorme dans tout ça », reconnaît la tempétueuse violoncelliste. Ce qui frappe, par contre, c’est la phrase qu’elle ajoute après : « Tout sauf la peur, SVP ! »

Pas un coup de chance

L’absence de peur s’impose d’emblée comme un trait fondamental de la direction artistique choisie par Jorane, il y a plus de 20 ans. « Je pensais que c’était de la chance, de ne pas avoir peur, dit-elle. Je me rends compte que c’est mon rôle. C’est plus que de la chance, c’est un choix. »

Jorane a osé dès ses débuts. Ses parents, se rappelle-t-elle, n’étaient pas chauds à l’idée de la voir s’inscrire en musique.

Ça m’a aidée à être forte, à assumer ce choix-là. C’est comme si ça m’avait incitée à me dire : “Si je le fais, je le fais pour vrai, je vais chercher cette liberté-là.”

Jorane

Elle ne sait pas trop pourquoi elle n’a jamais eu peur (« Il faudrait que je fasse une psychanalyse et qu’on s’en reparle dans trois ans », rigole-t-elle). En repensant à son parcours, on se dit qu’il y avait sans doute un peu de naïveté dans ses choix.

Imaginez un peu : elle a commencé le cégep en guitare classique, a touché un violoncelle pour la première fois vers 18 ou 19 ans et a signé un premier album axé sur une approche très personnelle seulement cinq ans plus tard. Elle s’est aussi mise à l’un des instruments les plus intimidants qui soient, la harpe.

« Ce ne sont pas des choses que j’avais réfléchies, je n’ai rien prémédité », expose la musicienne et compositrice. Elle ne regrette rien. « [Ces instruments] m’ont laissée être qui je devais être en musique. »

Partir à l’aventure

Un peu plus de 20 ans plus tard, tout ça demeure vrai : la prise de risque, la quête de liberté, la confiance en son instinct et l’absence de peur. Et ça s’entend partout sur Hemenetset, album dont le titre est un mot inventé qui est devenu une espèce de cri de ralliement autour de son ambitieux projet.

Parce que ce disque, elle ne l’a pas fait toute seule. Il est né lentement au fil d’invitations de type « carte blanche » et d’une résidence de création à la Place des Arts.

Au cours des six dernières années, elle a ainsi eu l’occasion d’explorer seule, avec un quatuor à cordes, avec le pionnier de la musique électroacoustique Robert Normandeau (collaborateur du EP Antimatière lancé l’an dernier), puis avec une dizaine de musiciens et choristes.

« J’avais l’impression de partir à l’aventure », raconte Jorane, qui n’avait fixé aucune date butoir ni aucune direction précise. Et si elle a passé une centaine de jours en studio avec Marc Bell (Troublemakers, Moment Factory) à travailler le grain, la couleur des sons, les textures et les groove, une grande partie du travail s’est faite en groupe.

Elle a choisi ses collaborateurs un à un (on trouve notamment la choriste Geneviève Toupin, le pianiste Martin Lizotte, le contrebassiste Mathieu Désy) et s’est envolée avec eux dans des séances d’exploration. « Les musiciens étaient tous ouverts, dit-elle avec un mélange d’enthousiasme et de reconnaissance. Ils avaient les antennes déployées au plus haut dans le ciel pour capter toutes les possibilités ! »

Et ça donne quoi ? Du Jorane, a-t-on envie de dire. Puissance mille. Des morceaux qui mêlent emportements et caresses, pulsations électros et mélodies presque classiques. C’est tour à tour envahissant et touchant. Entier.

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« On n’est pas toujours à la recherche de la beauté, fait valoir l’artiste. Le but, c’est d’évoquer. Le début de la pièce Les tectoniques, c’est un cri, alors qu’à d’autres moments, on est dans les étoiles, dans l’apesanteur. »

Ce n’est qu’un premier pas. Un pas gigantesque, mais un pas tout de même qui mènera à un spectacle à l’aspect visuel imposant, qui vise à mettre ses musiques en images. Elle souhaite aussi installer une ambiance qui tiendra du rituel.

« Je parle de communion, de croire au pouvoir sacré de la musique, de l’importance de se réunir pour vivre ce moment-là », précise Jorane. Elle parle surtout d’embrasser ce que la musique lui offre comme liberté. Et de l’offrir en inspiration aux autres.

Jorane sera en concert les 6 et 7 avril au Grand Théâtre de Québec et le 21 avril au Théâtre Outremont, à Montréal.

Hemenetset

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