L’un des plus grands chanteurs de blues au monde est au Québec ces jours-ci. Caron Nimoy « Sugaray » Rayford, l’une des têtes d’affiche du festival Trois-Rivières en Blues, se produira ce samedi soir, à l’amphithéâtre extérieur Cogeco. La Presse lui a parlé.

« You’re gonna shake what your mama gave you ! » 

Le petit teaser publié sur Facebook en amont de son spectacle en tête d’affiche ce samedi au festival Trois-Rivières en Blues est carrément une invitation au party. Sans contredit le plus grand chanteur de blues au monde, Sugaray Rayford connaît bien les rouages du divertissement. Il a remporté deux ans d’affilée le trophée Soul Male Artist of the Year et le prestigieux B.B. King Entertainer of the Year, tandis que son groupe a reçu le titre de meilleur groupe blues au gala annuel des Blues Awards à Memphis.

Dans la foulée, il a été nommé aux prix Grammy l’an passé pour son disque Somebody Save Me.

C’est drôle, mais je ne me vois pas comme l’un des meilleurs de la profession. J’étais juste heureux la première fois qu’on m’a engagé à l’extérieur du pays ; je suis assez humble et, si je ne le suis pas, ma femme me le rappelle constamment.

Sugaray Rayford

Élevé au Texas, Rayford a baigné toute sa jeunesse dans le gospel. À 18 ans, il s’enrôle dans les marines, « une chose très courante pour les jeunes des États du Sud », mais revient à la musique 17 ans plus tard et devient le chanteur de Phantom Blues (duquel faisait partie le regretté Jim Finnigan, l’un des grands joueurs d’orgue Hammond B-3). À force de rouler sa bosse sur le circuit, il se fait remarquer par The Mannish Boys, qui en font leur chanteur.

« Quand je dis Sud, je ne parle pas du Mississippi, mais bien de la Louisiane et du Texas. Ce qu’on y entend surtout, c’est du soul blues. Avec beaucoup de cuivres. Si tu écoutes les anciens, Little Milton, Albert Collins, Clarence Gatemouth Brown, c’est un genre de blues très différent de celui de Chicago », explique le chanteur.

Il aura beau marcher sur des sommets, ses 150 à 200 spectacles par année lui ont appris une chose : « Je n’aime pas avoir une set list [liste de chansons au programme]. Je préfère sentir l’aura du public, de la salle, je sais exactement à ce moment comment orienter la soirée. Pour être un chanteur crédible, il faut que tu vives les paroles que tu chantes. »

Un exemple ? La chanson Death Letter de Son House, écrite en 1930 et reprise par Jack White et Cassandra Wilson. « Une chanson autobiographique ; tout ce qu’il raconte, je l’ai vécu. C’est le genre de chansons que je joue rarement en concert sauf si l’ambiance le commande. » Il faut entendre cette voix soudainement apaisée, comme si tous les débordements, toutes les blessures n’avaient aspiré qu’à cette pureté-là.

Son émission en balado est un vrai délice. Live From the Suga Shack, publiée tous les mardis, nous le dévoile dans son man cave, son repaire au sous-sol, avec tous ses trophées à l’arrière-plan, cigare au bec, heureux comme Ulysse. Et des invités, en voulez-vous ? Charlie Musselwhite, le légendaire batteur soul Bernard Purdie, Jimmy Vivino (Conan O’Brien) : impossible de s’arracher de son ordinateur tellement on apprend de choses.

Il faut voir le bonhomme s’avancer au milieu de la foule sans micro et communier avec le public dans des blues lents et cathartiques, à force d’étreintes brûlantes et brèves, en s’épongeant le front, la gorge imbibée de fiel. « Quand cela se produit, je sais que la qualité d’écoute est à son maximum et que le monde va me suivre quoi que je fasse. Et mes musiciens aussi parce que je tiens à ce qu’ils connaissent toutes les chansons de mes cinq albums. Comme ça, je peux décider de chanter une chanson d’il y a 10 ans s’il le faut.

J’aurais tellement aimé que mes joueurs de cuivres habituels [qui accompagnaient Amy Winehouse] soient chez vous, mais la COVID-19 en a décidé autrement ; il y aura tout de même des musiciens très compétents à leur place.

Sugaray Rayford

C’est toujours à ce moment que Rayford a offert et offre le meilleur de lui-même.

Le temps qui passe lui a donné de la bouteille. À 52 ans, il plonge dans les courants du blues, du soul et du gospel pour les amener à la concrétisation d’un univers unique. Ses mélodies irrésistibles palpitent comme les néons de Vegas. Du grand art.

Downchild Blues Band et Guy Bélanger

Toute la portion payante du festival se passe à l’Amphithéâtre Cogeco, superbe création de l’architecte Paul Laurendeau qui domine le fleuve et la rivière Saint-Maurice. Il faut obligatoirement se procurer les passeports trois jours à prix fort avantageux pour y avoir accès.

Les deux sœurs Lovell, du groupe américain Larkin Poe, ont dû déclarer forfait vendredi en raison du trop grand risque de ne pouvoir rentrer aux États-Unis avec un test négatif, ce qui aurait mis en péril les concerts prévus sur le sol américain. Guy Bélanger, notre maestro de l’harmonica, les a remplacées au pied levé et, ironiquement, il devait assister à leur concert. Juste auparavant, en lever de rideau, le pianiste de 75 ans de boogie woogie Kenny « Blues Boss » Wayne a amené un joli contrepoint à cette programmation. La quintessence du piano blues.

La tournée du 50e anniversaire de Downchild Blues Band fait enfin escale chez nous, ce samedi. Le groupe de Donnie Walsh (intronisé au Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens) est à l’origine de la création des fameux Blues Brothers. Dan Aykroyd et John Belushi avaient même repris deux titres du sextuor torontois. Immanquable, ne serait-ce que pour entendre Flip Flop and Fly et I’ve Got Everything I Need (Almost), deux chansons qui feront bouger pas mal plus que le gros orteil !

Il y aura des spectacles gratuits au centre-ville, dans certains bars et restaurants.

Trois-Rivières en Blues, 13e édition, du 19 au 22 août 

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