En tête de la course aux prix Grammy avec huit sélections, nommée artiste de 2019 par le magazine Time, Lizzo est l’une des grandes révélations de la dernière année. Elle n’en est pourtant pas à ses premiers pas dans l’industrie. Flamboyante, affirmée, dotée d’une voix et d’un style rafraîchissants, Lizzo a finalement fait sa place. À quelques jours du gala de dimanche, son nom est sur toutes les lèvres. Voici pourquoi.

Les débuts de Melissa

La musique est une évidence dans la vie de Lizzo. Née Melissa Jefferson à Detroit, au Michigan, elle s’est d’abord lancée sur la scène du rap à 14 ans, au sein de sa Cornrow Clique. À l’université, la jeune femme a fait des études en musique classique, se spécialisant en flûte (instrument dont elle joue parfois sur scène). Dès ses 20 ans, elle se joint à des groupes de rap et de R & B, sans jamais connaître de franc succès. La chanteuse parvient finalement à se tailler une place sur la large scène indépendante du hip-hop. Ses deux premiers albums — Lizzobangers (2013) et Big Grrrl Small World (2015) — sont parus sans le soutien de maisons de disques majeures. En 2014, le magazine Time l’a néanmoins nommée parmi les 14 artistes à suivre. Cinq ans plus tard, il la couronnera artiste de l’année (entertainer of the year).

Atlantic, Coconut Oil et la tournée

« Un peu comme Janelle Monáe [dont les premiers essais sont passés inaperçus], Lizzo a mis du temps à monter », note Ons Barnat, ethnomusicologue et professeur au département de musique de l’UQAM. Le début de la gloire sonne en 2016. Lizzo signe avec Atlantic et sort un EP, Coconut Oil, dont la pièce maîtresse, Good as Hell, est encore à ce jour l’un de ses plus grands succès — elle la reprendra d’ailleurs plus tard en duo avec Ariana Grande. Coconut Oil, ode à l’acceptation et l’amour de soi, se classe 14e dans la liste des meilleurs albums pop de l’année 2016 du magazine Rolling Stone. Le succès pointe enfin le bout de son nez, et Lizzo déménage à Los Angeles. L’année suivante, elle se lance en tournée. En 2018, elle monte sur scène en première partie de Haim, puis de Florence and The Machine.

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Lizzo a fait des études en musique classique et s’est spécialisée en flûte.

Cuz I Love You

Cuz I Love You, troisième album studio de Lizzo, est l’amorce d’une ascension remarquable. « C’est cet album, encensé par la critique, qui l’a propulsée sur la scène internationale », explique Ons Barnat. Musicalement, depuis ses débuts, Lizzo a gagné en maturité. « Son style s’est précisé, elle assume davantage son personnage, observe-t-il. Elle n’a pas toujours assumé le fait de chanter comme elle le fait. Étant noire et en surpoids, elle ne voulait pas entrer dans le cliché de la chanteuse soul. Mais désormais, elle s’assume. » Ons Barnat établit un parallèle entre Cuz I Love You et le superbe Back To Black, d’Amy Winehouse, pour louanger la production derrière l’album. « Le son qui a été créé transcende les frontières », dit l’ethnomusicologue. L’album offre un mélange d’univers qui n’ont pas l’habitude de se rencontrer, du trap au rap, en passant par la voix vintage, les sonorités rétro et des rythmes francs. À l’ère du mumble rap, « la qualité de sa production, la direction artistique qu’elle a prise et le cross-over qu’elle a créé » servent grandement la chanteuse.

L’estime de soi

Lizzo ne cache pas la relation difficile qu’elle a entretenue avec son corps lorsqu’elle était plus jeune. Après avoir parcouru un long chemin vers l’acceptation de ses formes, Lizzo profite des projecteurs braqués sur elle pour se faire ambassadrice de cet amour de soi qu’elle a travaillé à bâtir pour elle-même. « Je sais que je suis une reine, je n’ai pas besoin de couronne », chante Lizzo dans Soulmate. Quand il est question d’estime de soi, il faut s’aimer avant tout, dit-elle. Lizzo n’a pas le profil qui a longtemps été mis de l’avant par l’industrie. « Le monde n’était pas prêt pour elle » jusqu’à récemment, croit Ons Barnat. Son apparence physique, sa couleur de peau, son identité sexuelle… ce qui la distingue maintenant a très bien pu être l’une des raisons de sa difficulté à percer plus vite.

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Lizzo profite des projecteurs braqués sur elle pour se faire ambassadrice de cet amour de soi qu’elle a travaillé à bâtir pour elle-même.

Une inspiration

« Je ne pourrais pas me lever un matin et ne plus être noire. Je ne pourrais pas me lever un matin et ne plus être une femme. Je ne pourrais pas me lever un matin et ne plus être grosse », a-t-elle dit dans une entrevue au magazine Teen Vogue. « Ces trois choses ont toujours joué contre moi dans ce monde. Et parce que je dois me battre pour moi-même, je dois me battre pour tout le monde. » Ce combat, elle le mène par les mots de ses chansons et les positions qu’elle prend publiquement. Tête d’affiche d’un festival lesbien, le Dinah Shore, en 2017, elle surnomme certains de ses admirateurs les « Lizzbians ». « Lizzo est le porte-voix pour une portion de gens dans la marge, dit Ons Barnat. Il suffit de regarder les commentaires sur ses vidéos YouTube pour voir l’effet social qu’elle a sur les gens qui voient en elle quelqu’un qui leur ressemble. » Ses paroles sont des vecteurs de messages positifs, facteur important à notre époque. « Si je brille, tout le monde doit briller », dit-elle dans le succès Juice.

Pas seulement la musique

À l’époque où elle cherchait encore à faire sa place dans l’industrie, avant de signer avec Atlantic, Lizzo est devenue l’une des animatrices de Wonderland, émission de musique diffusée en direct sur MTV. En 2019, elle a fait partie de la distribution du film Hustler, mettant en vedette Jennifer Lopez, Constance Wu et Julia Stiles. Très active sur les réseaux sociaux, elle n’a pas peur du ridicule, se met en scène, fait rire. Sa flûte, qu’elle a nommée Sasha, a même son propre compte Instagram. Dès le début de sa percée, sa présence sur les plateformes Instagram et Twitter a également joué en faveur de sa popularité. « Il n’y a pas de recette magique pour cartonner, dit l’ethnomusicologue Ons Barnat. Mais les réseaux sociaux, en 2020, les artistes sont souvent obligés d’y être. »

> Consultez son compte Instagram : https://www.instagram.com/lizzobeeating/?hl=fr-ca

Rafraîchissante Lizzo

Si les textes de l’album Cuz I Love You ont une portée sociale, ils sont à la fois très ironiques et ludiques (parfois franchement drôles). « C’est pareil dans ses vidéoclips qui, esthétiquement, vont dans l’excès, la parodie, soulève Ons Barnat. C’est très bien pensé. Il y a un décalage, ce n’est pas de la critique sociale frontale, mais elle dit et montre des choses qui touchent les gens en passant par l’ironie. » Certaines chansons ont cette intonation tout droit sortie de la musique gospel. Et sur ces sonorités, elle place des paroles franches, amusantes. Lizzo elle-même décrit sa musique comme « des chants d’église avec un twerk ». En entrevue, elle fait preuve de cette même personnalité pétillante, amusante. Plus qu’une voix et de bonnes chansons, Lizzo est un personnage, aujourd’hui incontournable.

PHOTO JEAN-BAPTISTE LACROIX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Lil Nas X a récolté six sélections aux prix Grammy cette année.

Les autres principaux nommés

Avant que le tapis rouge ne soit déroulé pour la cérémonie animée par Alicia Keys, jetons un coup d’œil sur les principaux nommés. Lizzo est en tête de liste, mais Billie Eilish la suit de près, avec six chances de gagner. Elle devient ainsi la plus jeune artiste (à 18 ans) citée dans les quatre catégories principales du gala : enregistrement, album et chanson de l’année ainsi que découverte de l’année. Lil Nas X, pour sa première présence aux prix Grammy, a lui aussi récolté six sélections. Les chanteuses HER et Ariana Grande sont en lice cinq fois chacune. Le groupe Bon Iver est finaliste dans quatre catégories, dont celles de l’album et de l’enregistrement de l’année pour i,i. À ses côtés, aussi avec quatre sélections : Beyoncé, qui n’a pas sorti d’album solo, mais a lancé la bande sonore du film The Lion King, en lice pour le Grammy du meilleur album pop vocal.