À 46 ans, après 25 ans de carrière dont 15 en solo, Joseph Edgar a décidé d’appuyer sur pause. Le chanteur acadien lancera donc à Montréal vendredi une sorte de « tournée d’adieu » qui le force à faire des bilans.

« C’est une tournée de je ne sais pas quoi », laisse tomber l’interprète d’Espionne russe dès le début de l’entrevue qui se déroule dans son studio du quartier Centre-Sud — à deux pas du National, où il jouera vendredi, pour la première fois en tête d’affiche d’une salle montréalaise.

Ce qu’il sait, par contre, c’est qu’il avait un urgent besoin d’interrompre le cycle qui force les chanteurs à sortir des albums tous les deux ou trois ans pour ne pas se faire oublier. « C’est comme un never-ending processus », dit l’auteur-compositeur-interprète, qui a senti une grande libération après avoir pris cette décision — il en a d’ailleurs fait l’annonce dans un long message publié sur sa page Facebook au début du mois.

« En arrêtant pour un bout, ça libère la patente, confie-t-il. Je ne m’étais jamais accordé ça avant, alors que la plupart des artistes que j’admire l’ont déjà fait. Je me dis que quand je vais revenir, ça redeviendra comme c’était avant, dans la joie de composer des tounes et de faire de la musique. »

Voix acadiennes

C’est clair, la passion de Joseph Edgar est intacte. « Cette énergie que tu ne peux même pas décrire entre les musiciens quand ça se passe sur scène, c’est un thrill que j’aurai toujours, je suis junkie de ça », décrit-il. Mais cette pause lui permet aussi de poursuivre des projets qu’il repoussait constamment. « Là, je me dis qu’il faut que je force le temps. »

Écriture — il a des manuscrits inachevés partout —, opéra — il incarnera Jack Kerouac dans une œuvre écrite par la compositrice Mathilde Côté et le slameur Ivy —, mise en valeur du talent acadien : les options sont nombreuses pour celui qui a agi cet été comme directeur artistique de l’Espace Extrême Frontière, quartier général du Congrès mondial acadien 2019.

« Ça m’a rendu très fier de voir le sourire des gens dans la foule. En fait, ça m’allume beaucoup de travailler à des choses qui sont davantage collectives. On dirait que ça me tente plus que de continuer ma propre affaire », dit celui qui est une espèce de maillon dans la chaîne entre les vétérans comme Zachary Richard et Édith Butler et la jeune génération de chanteurs acadiens, les Lisa LeBlanc, Hay Babies ou P’tit Belliveau, qu’il trouve formidablement talentueux.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Joseph Edgar avait un urgent besoin d’interrompre le cycle qui force les chanteurs à sortir des albums tous les deux ou trois ans pour ne pas se faire oublier.

« On est rendus tellement plus loin que quand j’ai commencé dans les années 90 et qu’on était très peu à faire de la musique en français qui n’était pas juste de chanter Partons, la mer est belle. »

Mais porter la parole acadienne n’est pas toujours une partie de plaisir, car non seulement il faut se battre contre la majorité anglophone — « Ce serait tellement plus facile de chanter en anglais… » —, mais aussi contre des préjugés du côté de la francophonie.

« Des fois, je suis à boutte. En plus, j’essaie de sauver quelque chose alors que des parties de la francophonie ne veulent même pas que j’existe, avec mon accent pis mes expressions bizarres. Des fois, je me dis : “Pourquoi c’est, mon Dieu, que je fais ça !” Mais c’est plus fort que moi », dit le chanteur, qui estime que les artistes acadiens doivent continuer à créer leurs propres vaisseaux.

Fatigue

Si Joseph Edgar part « à la chasse à d’autres aventures », c’est aussi poussé par une certaine lassitude. La crainte continuelle de ne plus être pertinent – « à la place de me craquer la tête en me disant “qu’est-ce que je vais faire pour m’adapter aux nouvelles tendances ?”, je préfère juste watcher ça passer, écouter et enjoyer » –, les efforts pas toujours récompensés, la fatigue émotive et physique qui vient avec ce rythme de vie pas toujours sain sont réels, admet celui qui roule au moins 40 000 km par année dans sa voiture – le fil stable qui, après sa famille et ses amis, l’aide à préserver sa santé mentale.

« C’est sûr que c’est parfois difficile, mais j’haïs ça, ce discours sur les pauvres musiciens. Je comprends cette affaire, la dépression et la fatigue chez les artistes. Oui, c’est vrai. Et oui, c’est moi en quelque part. Mais je ne veux pas en faire un cas et je pense que je deale pas si pire avec ça. »

Pas d’amertume chez Joseph Edgar, donc, qui, « sans être une vedette », réussit à gagner sa vie avec sa musique. Seulement beaucoup de lucidité.

« Je prends une pause, comme un couple. Mais dans deux ans, si j’ai un album et que je suis prêt à prendre la route de nouveau, peut-être que ça ne sera plus le temps non plus ! J’aurai eu ma part, et c’est ça. Après, je vais devenir un chanteur qu’on invite de temps en temps sur des affaires spéciales, je ne sais pas. Mais la musique va toujours être là d’une manière ou d’une autre. »

Au National le 20 septembre.

Consultez le site de Joseph Edgar : https://www.josephedgar.ca/