Sérénité, empathie, inspiration, maîtrise… chef-d’œuvre.

En 2015, la mort d’Arthur, adolescent alors âgé de 15 ans, a mené son père à porter un regard empathique sur la souffrance des autres, bien au-delà de la sienne. Ce regard de Nick Cave devint aussi porteur d’une pulsion créatrice ; on l’a observé dans un splendide film documentaire tourné peu après l’accident fatal, et aussi dans le cycle de concerts ayant suivi la sortie de l’excellent opus Skeleton Tree, évidemment traversé par cette terrible tragédie.

Quatre ans plus tard, une vaste fresque chansonnière dépeint ce chemin parcouru des ténèbres à la lumière : Ghosteen, album double qui vient de paraître, complète une trilogie de Nick Cave and the Bad Seeds ; amorcée avec l’album Push the Sky Away (2013), poursuivie avec Skeleton Tree (2016) et marquée au fer rouge par cette épreuve qui, on le sait, laisse aux parents de la victime une plaie béante, incurable.

Force est d’observer que cette blessure n’est pas mortelle, du moins dans le cas qui nous occupe : Nick Cave avait usé de cette douleur vive et profonde pour secouer son Skeleton Tree, il en explore aujourd’hui les sinuosités spectrales dans des ciels partiellement dégagés. Ces sentiments partagés entre la mort définitive et les considérations métaphysiques sur l’au-delà sont distillés dans un riche corpus mélodico-harmonique assorti d’un superbe recueil de poésie chansonnière.

Le premier volet de Ghosteen comporte des chansons de taille relativement normale, quoique longues parfois, soit de 3 minutes 54 secondes à 6 minutes 46 secondes. Le second est constitué de deux très longues pièces, 12 minutes 10 secondes et 14 minutes 12 secondes, entrelardées d’une courte pièce. Les huit chansons du premier album incarneraient l’univers des enfants, les trois du second exprimeraient le ressenti des parents.

Les matériaux poétiques de Nick Cave sont riches et diversifiés – référents puisés dans les textes sacrés de tradition judéo-chrétienne, dans les légendes arthuriennes et autres mythes rock, voilà autant de signes pour brouiller les pistes des croyances présumées d’un auteur ébranlé par la mort de sa progéniture.

IMAGE FOURNIE PAR GHOSTEEN LTD.

Ghosteen, de Nick Cave and the Bad Seeds

Les mélodies aériennes de Ghosteen contrastent avec la gravité des choix harmoniques et de la lenteur de l’exécution. Très peu de percussions au programme, rythmes très lents, épais sédiments de sons électro forés avec rigueur et minutie.

Nick Cave et Warren Ellis, bras droit du chanteur (sans qui son employeur, rappelons-le, n’aurait pas atteint un tel niveau), ont ainsi choisi de constituer un orchestre de synthétiseurs analogiques, de cordes et voix harmonisées pour ainsi générer ce chef-d’œuvre au croisement idéal de la chanson d’auteur et de l’ambient aux couleurs prog.

Les mélodies relèvent ici de l’incantation sacrée, de la grande solennité. Les épaisses couches sonores que génèrent les claviers et logiciels informatiques favorisent l’élévation de ces chants solos, variant du registre baryton à celui du contre-ténor, en passant par la simple déclamation.

Voilà ce précieux nectar, potion d’empathie universelle issue d’une très difficile quête de paix intérieure. Cette trilogie de Nick Cave and the Bad Seeds est ainsi complétée. Contrairement à Arthur et nous, mortels, ce chef-d’œuvre et ses éléments constitutifs survivront à l’épreuve du temps. Voilà un classique de notre ère, rien de moins.

★★★★½

Chanson, ambiant, prog. Ghosteen. Nick Cave and the Bad Seeds. Ghosteen Ltd.

Écoutez l'album : https://ncandtbs.lnk.to/ghosteendigitalWE