Les Cowboys Fringants lancent aujourd’hui Les Antipodes, leur 10album de chansons originales en 22 ans d’une carrière unique et étincelante. Rencontre avec un groupe qui continue de puiser l’essentiel de sa force dans son public.

Leur nouvelle tournée québécoise n’est même pas commencée que des spectacles de 2020 affichent déjà complet – des supplémentaires s’ajoutent jusqu’en 2022 tellement les salles se remplissent vite. Ils iront aussi donner au printemps huit spectacles en neuf soirs dans des grands amphithéâtres européens, dont le célèbre stade Bercy à Paris, devenu L’AccorHotels Arena, qui peut accueillir au-delà de 10 000 personnes – une habitude pour ceux qui jouent devant d’immenses foules en France depuis 2004.

Devant une telle réponse et une fidélité qui ne se dément pas, pourquoi arrêter, répondent-ils lorsqu’on leur pose la question. « On a un public qui nous engage à en faire plus. Si on avait eu un vent de face, des salles pas pleines, peut-être que ces 22 ans se seraient passés différemment », dit Jean-François Pauzé, auteur et compositeur du groupe, qui ajoute que l’album est une sorte de « carte de visite » pour partir en tournée.

« C’est plus ça qu’on fait maintenant dans la vie. On n’arrête jamais de tourner. » Cet été, par exemple, quatre ans après la sortie d’Octobre, leur précédent disque, le groupe donnait encore une bonne vingtaine de spectacles, autant ici qu’en Europe. « Notre dernier était le 20 septembre, et on commence la nouvelle tournée en novembre ! », dit Marie-Annick Lépine.

Karl Tremblay, le chanteur qui a du coffre, renchérit. « Nous, on fait deux partys par semaine, c’est le fun. Ça use le corps par contre ! »

Énergie partagée

Lundi matin, pour leur première entrevue d’une semaine qui s’annonce chargée, les quatre amis musiciens sont joyeux. Ils s’échangent blagues et commentaires et rient souvent aux éclats. On sent la complicité sans faille, la fierté devant le chemin parcouru – elle est loin l’époque où les quatre jeunes Cowboys vendaient leurs cassettes à leurs amis –, la flamme toujours vibrante à la veille de repartir pour un nouveau cycle de quatre ans.

Ils parlent aussi du bonheur intact qu’ils ressentent dans cet échange quasi mystique entre les musiciens et leur public. 

Nous, c’est le plus fort, le plus vite, le plus énergique. On fait un show, c’est les archets et les manches de guitare dans les airs. Cette adrénaline, on la reçoit du public aussi.

Karl Tremblay, chanteur des Cowboys Fringants

Marie-Annick, la « plus rockeuse des violonistes », confirme. « Les gens nous attendent. On n’est pas montés sur scène, ils font déjà des “oh oh”, alors ils nous mettent dans le mood. Avoir du plaisir, danser, crier, c’est ça qu’on apporte. »

La musicienne, qui signe aussi la plupart des arrangements, aime bien que leur réalisateur Gus Van Go qualifie leur style de « musique de pirate ».

« Avec Gus, on a vraiment travaillé pour qu’on sente que le son des instruments est joué et non reproduit sur un clavier. Notre défi était de mettre assez de vibrato pour qu’on sente la chaleur d’une violoniste ou d’un tromboniste, le mouvement du vrai instrument. »

Deux pôles

Ce côté givré des Cowboys Fringants, qu’on reçoit quand ils sont sur scène, se retrouve aussi sur disque. Par contre, le groupe assume un côté sérieux qui prend la forme de chansons nostalgiques ou engagées.

Les Antipodes porte ainsi bien son nom. Le titre de ce dixième disque représente bien les deux pôles des Cowboys, mais aussi le monde dans lequel on vit, plus polarisé que jamais. « C’est un beau mot et un beau titre », dit Jean-François Pauzé. 

Sur l’album, il y a des chansons sombres et d’autres ridicules comme Mononc’ André. Ça marche. Et c’est facile à expliquer en entrevue !

Jean-François Pauzé, auteur et compositeur des Cowboys Fringants

Aux côtés de chansons rigolades comme Johnny Pou – « La préférée de Jérôme », s’amuse Jean-François, « je ne voulais même pas qu’elle soit sur l’album ! », répond le discret (en personne, pas sur scène !) bassiste Jérôme Dupras – en figurent de beaucoup plus graves.

Les maisons toutes pareilles, Ici-bas, D’une tristesse : il n’y a pas de fil conducteur à l’album, affirme Jean-François, « mais une filiation entre plusieurs chansons », qui racontent toutes notre époque et son anxiété ambiante. « Ce n’est qu’un constat de ce qui flotte dans l’air depuis quelques années, dit-il. J’ai essayé de cerner ça le mieux possible avec quelques chansons. »

« L’album n’est pas triste, il est objectif et réaliste », précise Marie-Annick.

Classique instantané

Tout l’esprit des Antipodes se retrouve dans la première pièce de l’album, L’Amérique pleure, regard lucide et douloureux sur l’Amérique à travers la lorgnette d’un camionneur.

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Sur cette chanson, véritable classique instantané, la voix de Karl, doublée de celle de Jean-François, est plus déchirante que jamais lorsqu’il chante ces mots : « Mais comment font ces pauvres gens/Pour traverser le cours/D’une vie sans amour ».

« Ensemble, on a une voix vraiment spéciale qui crée une émotion, estime Karl. Mais je le savais, dès la première fois que j’ai lu le texte, que je ne pouvais pas la manquer. Il fallait faire quelque chose de spectaculaire. Je l’ai juste chantée comme elle devait être chantée ! », dit l’interprète, qui affirme que L’Amérique pleure est sa chanson préférée des Cowboys depuis… L’hiver approche en 2002 !

« Finalement, ça donne une chanson très différente de tout ce qu’on a fait. Dans la livraison, dans la rythmique, tu entends presque le camion rouler. »

Mais même dans leurs chansons tristes, les Cowboys veulent laisser passer un soupçon de lumière. Une lumière qu’ils ont vue entre autres à la Marche pour le climat du 27 septembre, à laquelle des centaines de milliers de personnes ont participé.

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« Au-delà de l’événement, ça montre que le Québec est prêt pour la transition énergétique », dit Jérôme Dupras, qui est professeur de géographie à l’Université du Québec en Outaouais et éminence grise écologiste du groupe, impliqué pour cette cause depuis plus de 12 ans, entre autres avec sa Fondation.

« On était quand même précurseurs, lance Jean-François. On a écrit Plus rien en 2004, alors que ce n’était pas dans l’air du temps. Ça fait longtemps qu’on mène ce combat et on est contents de voir que le monde se mobilise. »

Contents oui, mais néanmoins inquiets. « Dans la dernière année, les drapeaux rouges se sont levés un à un, précise Jérôme. D’ailleurs, on n’utilise plus le terme changement climatique, mais effondrement. Alors oui on est optimistes, mais réalistes aussi. D’où Les Antipodes. »

Partir en tournée, ça use

Les Cowboys se préparent donc à repartir dans une autre longue tournée. Alors qu’ils sont tous entrés dans la quarantaine – sauf Jérôme, qui y arrivera dans un mois – et qu’ils sont parents de jeunes enfants, ils doivent quand même prendre des moyens pour garder la forme.

« Moi, j’ai descendu les talons de mes bottes parce que j’ai trop mal aux genoux, raconte Marie-Annick. Cet été, j’ai même joué pieds nus, c’était encore mieux ! »

Jean-François a deux vertèbres écrasées, et Karl « devra faire réparer deux hernies sans que ça nuise à la tournée », explique-t-il. « Ça ne fait pas mal, mais deux heures et demie à chanter, plus 20 ans de bière… On se répare. »

Que se souhaitent-ils pour la suite ? « Continuer à faire ce qu’on fait avec plaisir depuis 20 ans, répond Jean-François. Ce sera un autre beau 40 ans. »

IMAGE FOURNIE PAR LA TRIBU

Les Antipodes, des Cowboys Fringants

Les Antipodes, des Cowboys Fringants, La Tribu