Il ne faut jamais prendre Thomas Fersen au pied de la lettre, mais on peut en revanche juger ses albums par leur pochette. Sur Pièce montée des grands jours (2003), il posait assis devant une tête de porc. C’était, oui, un disque un peu cochon. Sur le récent C’est tout ce qu’il me reste, le voilà affublé d’une trop grande peau de lapin. D’un lapin qui a eu et donné chaud et qui revient sur ses frasques de séducteur.

Ses « supposées » conquêtes et sa « supposée » vie de chaud lapin, précise Thomas Fersen, au téléphone depuis Paris. Le personnage qui porte ses chansons — toujours formidablement tournées — a beau être un séducteur motivé et savoir jouer les innocents (Mes parents sont pas là), il n’est pas toujours le plus habile…

Dire qu’on aime bien « les vieilles » (dans la chanson Les vieilles) est-il vraiment la meilleure façon de faire craquer une fille plus âgée que soi ? Il aurait pourtant dû avoir affiné son approche depuis le temps : il avait tenté d’emballer une fille de sept ans son aînée dans Saint-Jean-du-Doigt, chanson gravée sur Pièce montée des grands jours, et — vous vous rappelez ? — avait fini au lit… seul avec son polochon.

Fersen acquiesce à ces liens qu’on peut tisser entre ces deux disques truffés d’allusions coquines. « Mon personnage regarde ses frasques passées, dit-il. Il porte avec accablement cette peau de chaud lapin trop grande pour lui, à la manière d’une réputation — car la réputation est toujours plus grande que soi — et il est condamné, comme dans les contes, à porter cette peau qui le dénonce auprès des femmes… »

Est-ce que Thomas Fersen est aussi précédé d’une telle réputation ?

« Je n’en sais rien. Vous savez, tout est faux chez moi », esquive-t-il, pince-sans-rire.

Hallucinations auditives

C’est tout ce qu’il me reste, comme tous les disques de ce fabulateur, repose d’abord sur une écriture fine, souvent malicieuse, où la rime enrichie et les métaphores filées font défiler des images inspirées. Qu’il raconte une histoire de zombies (Les zombies du cimetière), celle d’un homme qui se prend pour le vrai matou (Richelieus) ou qu’il fasse le portrait d’un colosse « un peu fleur bleue » (King Kong) mais dont l’anatomie imposante effraie les filles (!), ses chansons demeurent des boîtes à surprises qui égayent l’esprit.

Surprise, ici, toutefois : Fersen propose une chanson-fleuve d’un peu plus de 10 minutes intitulée La mare, voyage halluciné d’un homme qui a pris un coup sur la tête et tente de se soigner en prenant un bon bain chaud… Il se met à divaguer, évoquant « le groin » du séchoir à cheveux, le serpent tuyau de douche et le savon crapaud, et on se laisse aspirer par cette chanson fantasque aux arrangements un brin psychédéliques où les effets d’écho dans la voix surnagent sur un banjo et des nappes de synthétiseur Moog.

IMAGE FOURNIE PAR BUCÉPHALE

C’est tout ce qu’il me reste, de Thomas Fersen, Bucéphale

La mare est la chanson la plus expérimentale de toute l’œuvre de Fersen. « L’objectif était de prendre l’auditeur par les oreilles — comme un lapin, s’amuse-t-il — et j’ai beaucoup travaillé à ça en l’essayant sur moi. Pour voir si je ne perdrais pas l’auditeur en route. […] Je trouve que le disque est un endroit où on doit essayer des choses. Alors je me suis lancé. Peut-être qu’elle va ouvrir la porte à d’autres chansons de cette nature… »

Une écriture du corps ?

L’écriture chez Fersen est intimement liée à son personnage de scène. Les deux possèdent un côté gamin tantôt malicieux, tantôt faussement innocent, de l’autodérision et une grande élégance. Sa plume, c’est une évidence lorsqu’on s’y arrête, fait littéralement corps avec l’interprète, avec son nez pointu et son œil vif. Son physique a-t-il façonné son écriture ?

« Vu de derrière le nez pointu et l’œil, d’aussi loin que je me souvienne, ce qui a été déterminant, c’est mon goût pour la comédie, le goût d’incarner des rôles que j’imaginais dans ma chambre d’enfant, raconte-t-il. J’ai toujours été, par la suite, dans un fil narratif que j’ai incarné sur scène : mon personnage, donc. »

Il est plus clair pour moi, quand je regarde mon parcours aujourd’hui, que ma motivation première était de jouer la comédie avant même de devenir chanteur.

Thomas Fersen

Oui, mais de la même manière que le casting influe sur la carrière d’un acteur, ce corps mince et cet air de lutin n’ont-ils pas imposé une direction à l’écriture, un angle aux chansons ? 

« Mon aspect physique entre de façon plus ou moins consciente dans l’écriture de mes histoires, dans la façon dont je sais que je pourrai les incarner. Il faut que mon nez pointu et mon œil soient crédibles avec ce que mon personnage raconte, convient-il. Je suis celui qui regarde le gorille, mais je ne peux pas être le gorille, non ! »