Ce n'était pas une décision facile, et le deuil n'est pas terminé. En octobre dernier, Catherine Simard a décidé de quitter l'entreprise que son père Alain Simard a cofondée, l'Équipe Spectra, pour fonder la Maison Fauve.

Une décision de nature familiale, entrepreneuriale et même féministe.

Une décision réfléchie depuis longtemps? «Vraiment pas, répond celle qui portait le titre de directrice générale de l'étiquette musicale de l'Équipe Spectra. J'ai toujours eu un côté entrepreneur, mais j'ai grandi avec un père entrepreneur qui a passé beaucoup de temps au travail. J'ai longtemps souhaité rester employée pour avoir la liberté de prendre des vacances et de partir en congé de maternité.»

Après la naissance de sa fille, Catherine Simard a repris le travail, à la fin de l'été dernier. En discutant avec d'autres femmes de l'industrie musicale à l'automne, que ce soit Nathalie Corbeil ou Krista Simoneau, des Yeux Boussoles, elle a eu l'idée de fonder sa propre entreprise.

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Elle demeure par ailleurs l'agente de spectacles et la responsable de la gérance de Patrice Michaud et de Philippe Brach (avec Nicolas Ouellet). Elle demeure aussi cogérante de Michel Rivard et responsable du booking de Vincent Vallières.

Le fait que Spectra - propriété du Groupe CH depuis cinq ans - collabore de plus en plus avec son entreprise soeur evenko n'est pas la cause principale de sa décision, même si cela comportait certains ajustements.

«Je suis une fille ambitieuse et j'aime travailler sur de gros projets. Chez Spectra, j'avais beaucoup de moyens, notamment pour faire le spectacle La Renarde [un hommage à Pauline Julien].»

Tout juste avant de quitter Spectra, Catherine Simard a fait des bons coups, dont la production du spectacle de Loud au Centre Bell en mai 2019 et la signature de la pianiste Alexandra Stréliski.

Malgré tous ces projets emballants et des possibilités à l'international, Catherine Simard a eu envie de voler de ses propres ailes, mais aussi de devenir une sorte de «modèle». Au Québec, expose-t-elle, tous les labels de musique sont dirigés par des hommes, que ce soit Dare to Care/Grosse Boîte, Bonsound, Coyote Records, Simone ou Audiogram. «Seule Julie Snyder a fondé le label des Productions J, note-t-elle. C'est une industrie où une majorité de femmes travaillent, mais où les boss sont des gars.»

Et si les «boys» le peuvent, Catherine Simard le peut aussi... Et elle en a les moyens. «Tout en établissant mes limites pour avoir du temps pour ma famille. J'étais rendue là dans ma vie. Mais c'est vraiment un deuil. Je suis née avec Spectra. C'est une famille de gens que j'ai engagés et d'artistes que j'ai choisis.»

La Maison Fauve compte trois employés, bientôt quatre. Ce n'est pas un hasard si le mot «maison» figure dans le nom de la boîte de Catherine Simard. C'est synonyme de liberté et de petite équipe.

Sa fondatrice de 35 ans compte y recruter plusieurs artistes féminines. Catherine Simard peut par ailleurs annoncer qu'elle produira les spectacles de Dominique Fils-Aimé, révélée à La voix en 2015. «J'ai des discussions avec d'autres femmes. C'est super important pour moi.»

UN ROULEMENT NATUREL, SELON SPECTRA

Au départ de Catherine Simard s'ajoute celui du directeur des relations de presse Greg Kitzler, qui travaillait pour l'entreprise depuis plus de 15 ans.

Ce dernier a dit ne pas pouvoir commenter sa décision à La Presse. Il rejoindra en février les rangs de la boîte Projet Caravelle, qui assure les relations de presse de nombreux artistes et musiciens au Québec, dont Loud, Klô Pelgag, Alfa Rococo, ainsi que le Festival en chanson de Petite-Vallée.

«C'est naturel dans une grande entreprise comme chez nous avec 40 ans d'histoire, et dans toutes les industries culturelles québécoises, que des gens partent et arrivent. Il y a des anciens de Spectra un peu partout», indique Jacques-André Dupont, de l'Équipe Spectra.

Les artistes font aussi le saut d'une étiquette ou d'une boîte à une autre. «C'est un flot normal», soutient Jacques-André Dupont, PDG de l'Équipe Spectra.

Spectra va continuer de travailler avec Catherine Simard pour certains artistes.

Depuis l'automne, des employés de Spectra ont quitté leurs bureaux du Quartier des spectacles pour travailler au Centre Bell dans les locaux d'evenko, promoteur qui appartient aussi au Groupe CH.

Spectra produit les FrancoFolies et le Festival de jazz, alors qu'evenko produit notamment Osheaga, Heavy Montréal et ÎleSoniq. Depuis le printemps dernier, evenko détient aussi avec Bell Média 51 % des actions du Groupe Juste pour rire.

Jacques-André Dupont rappelle que Spectra et evenko sont «deux unités d'affaires» distinctes au sein du Groupe CH. Or, il y a collaboration entre les deux. «Le meilleur exemple récent est Marie-Mai» qui, en mai dernier, s'est jointe au label Spectra pour la sortie de son prochain album et au promoteur evenko pour la production de ses spectacles.

Les collaborations entre evenko et Spectra se font sur d'autres plans, notamment celui des relations de presse, communes depuis peu. «Dans le respect de l'ADN et de la direction artistique de chaque festival.»

La musique est une industrie fragile et en «redéfinition», souligne le patron de Spectra. «Nous sommes parmi les dernières grosses boîtes à investir.»

«Nous avons une plus grande capacité à prendre des risques», conclut Jacques-André Dupont.