Le sourire rayonnant de Régine Chassagne est apparu pendant la finale de No Cars Go sur les écrans du XFinity Center de Mansfield, amphithéâtre en plein air de la banlieue de Boston où jouait Arcade Fire mardi.

La dynamique chanteuse et multi-instrumentiste du groupe montréalais, qui avait eu 37 ans la veille, avait toutes les raisons de se réjouir. Cette chanson du premier mini-album du groupe montréalais, relue sur Neon Bible en 2007, est toujours un hymne qui contribue soir après soir à faire d'une foule de plusieurs milliers de personnes disparates une authentique communauté.

Debout du début à la fin de ce concert exemplaire, les fans du Massachusetts et des États voisins ont répondu avec enthousiasme à l'appel de Win Butler qui leur avait demandé dès le départ de donner à son groupe toute l'énergie dont il allait avoir besoin.

Comme Arcade Fire invite ses fans à porter une tenue de soirée ou un costume, ces spectateurs majoritairement dans la vingtaine et la jeune trentaine avaient revêtu leurs plus beaux atours, s'étaient maquillés et même masqués pour participer pleinement à ce concert carnavalesque.

Depuis la scène, Régine, Win, leurs quatre camarades, leurs complices de longue date Owen Pallett et Sarah Neufeld ainsi que les deux percussionnistes haïtiens de Montréal et le saxophoniste qui les accompagnent ne pouvaient que constater l'évidence: leur musique est plus contagieuse que jamais.

Arcade Fire était déjà un excellent groupe de scène, mais son dernier album Reflektor, dont la rythmique emprunte à la musique caribéenne en général et haïtienne en particulier aussi bien qu'au disco, l'amène encore plus loin. Et les chansons moins récentes qui ont mis le groupe au monde se fondent à merveille dans celles de Reflektor.

Comme dans toutes les tournées de cette envergure, Arcade Fire a mis le paquet: projections aux couleurs vives, éclairages réfléchis par des miroirs au-dessus des musiciens, effets de mise en scène...

Mais tout cela ne servirait pas à grand-chose si le groupe avait perdu ce qui a toujours fait son charme et sa force: sa fraîcheur. Ce côté joyeusement bordélique qui l'autorise à faire intervenir sur scène de faux Arcade Fire aux têtes géantes en papier mâché, accompagnés de sosies de Bono, d'Obama et du pape François, qui vont faire semblant de jouer une chanson à saveur locale - ce soir-là, More Than a Feeling du groupe Boston, rebaptisée Less Than a Feeling par Win Butler - avant d'être délogés par les vrais membres du groupe.

LE grand groupe?

Après son succès météorique d'il y a 10 ans, Arcade Fire aurait pu, comme tant d'autres, connaître une baisse de régime sinon disparaître progressivement de la carte. Mais non: en 2011, son troisième opus, The Suburbs, lui a valu le Juno, le Brit Award et le Grammy du meilleur album. Reflektor n'était pas aussitôt sorti l'an dernier que les grands magazines rock internationaux posaient déjà la question: Arcade Fire serait-il devenu LE grand groupe d'aujourd'hui?

Les prestigieux festivals rock Coachella, en Californie, et Glastonbury, en Angleterre, emboîtaient le pas en faisant du groupe montréalais leur tête d'affiche de 2014.

Certains diront qu'Arcade Fire se prend un peu trop au sérieux et quelques moments théâtraux plus songés du spectacle actuel ne les en dissuaderont certainement pas. C'est peut-être le lot des artistes ambitieux qui cherchent toujours à se dépasser et à donner plus de profondeur à leur création.

Mais personne ne peut nier qu'en spectacle, Win Butler, Régine Chassagne et leur bande se donnent entièrement pour faire passer un bon moment à chacun des spectateurs. Un fan de Boston, que j'ai croisé après le concert de mardi, les a vus dans sa ville au début de la tournée The Suburbs en 2010 et il est retourné voir le même spectacle au festival Bonnaroo dans le Tennessee, l'année suivante. «Je n'ai jamais rien vu d'aussi bon», m'a-t-il dit sur un ton convaincant.

Et il y a les autres qui, tout en étant des fans de sa musique, apprécient aussi l'engagement social d'Arcade Fire. Comme cette soixantaine de spectateurs arrivés ensemble, tous membres de Partners in Health, à qui Arcade Fire verse 1$ pour chaque billet de spectacle vendu depuis des années. Sur scène, Win Butler a dit de cet organisme, qui a beaucoup contribué à la reconstruction d'Haïti, qu'il était la chose la plus cool à sortir de Boston depuis les Pixies, ce qui n'est pas peu dire pour le fan fini qu'il est de ce groupe.

Les chanceux qui ont vu Arcade Fire se produire dans la petite Salsathèque de la rue Peel en septembre 2013 n'auront pas le même rapport de proximité avec le groupe au parc Jean-Drapeau samedi prochain, mais ils pourront constater de visu combien leur spectacle a évolué et s'est bonifié. De la même façon que ceux qui les avaient vus chanter dans le stationnement de Place Longueuil en juin 2010 ont pu apprécier le chemin parcouru quand Arcade Fire a donné un autre concert gratuit à la place des Festivals en septembre de l'année suivante.

Comme en 2011, Arcade Fire mettra fin à sa tournée à Montréal après avoir semé la bonne humeur dans quantité de villes en précisant chaque fois qu'il venait d'ici. Mardi, le public américain a écouté Régine et ses amis chanter en français sans surprise aucune et personne n'a sursauté quand, à la fin, Win Butler a lancé un «bonsoir» en français.

C'est aussi ça, Arcade Fire.

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Arcade Fire, avec Dan Deacon, Spoon et Fraka, au parc Jean-Drapeau, le 30 août à 19h.

Arcade Fire dans d'autres festivals

COACHELLA

«Le spectacle d'Arcade Fire fut excellent pour une tête d'affiche. Ils ont commencé de façon appropriée avec une version disco-tragique de Reflektor avec une bande de percussionnistes haïtiens. Une belle façon de rappeler que la musique dance sonne presque toujours mieux sur scène quand elle vient d'un groupe nombreux, parfaitement mixé.» - L.A. Times, le 14 avril

PRIMAVERA SOUND (BARCELONE)

«Quel spectacle ils ont donné: une cavalcade tourbillonnante de lumières et de sons. Vêtue de blanc, de noir et de néon, qui brillait sous l'éclairage rouge de la scène, la bande de Montréal a enfilé les succès, semant la frénésie dans la foule.» - The Telegraph, le 31 mai

GLASTONBURY

«Ils passent sans difficulté du rythme glitter entraînant de Joan of Arc à la ballade au piano de la chanson-titre de l'album The Suburbs sans que la foule décroche. Quand ils entonnent le refrain sans mot de Wake Up, il est difficile de ne pas conclure que le groupe s'est non seulement adapté à Glastonbury, mais qu'il y triomphe.» - The Guardian, le 28 juin.

Funeral: 10 ans déjà!

Il y aura 10 ans en septembre, un groupe inconnu de Montréal, formé de Canadiens et d'Américains, lançait son premier album, intitulé Funeral. Arcade Fire, un habitué de la Casa del Popolo et de la Sala Rossa, était déjà réclamé un peu partout dans le monde quand il s'est pointé au Corona pour trois concerts à guichets fermés, sept mois plus tard.

Ce disque devenu rapidement un album culte aura coûté 10 000$ en frais de production, une somme que le groupe avait amassée en donnant des concerts dans de petites boîtes.

De grands noms de la musique les ont vite adoptés, dont David Byrne, Bruce Springsteen et David Bowie qui a décrit Funeral comme «la collection de chansons la plus belle, la plus émouvante, la plus passionnante et la plus imprévisible [qu'il ait] entendue depuis des millions d'années». U2 aussi a été impressionné et a invité Arcade Fire à faire sa première partie deux soirs au Centre Bell et un autre à Ottawa, en novembre 2005.

Encore aujourd'hui, les chansons de Funeral comptent parmi les grands moments d'émotion de la tournée Reflektor.

Quelle chanson pour Montréal?

Dans sa tournée Reflektor, Arcade Fire s'amuse à reprendre une chanson à saveur locale dans la plupart des villes où il s'arrête. Habituellement, les Reflektors, ces faux Arcade Fire à la tête en papier mâché, font mine de jouer une première chanson locale puis Win, Régine et leur bande en reprennent une autre. Mardi, c'était la décoiffante Alec Eiffel des Pixies, le groupe de Boston.

Quelle chanson choisiront-ils au parc Jean-Drapeau?

À titre d'exemple, voici quelques chansons qu'ils ont jouées cette année:

Washington: Waiting Room de Fugazi

Winnipeg: Come On Baby Let's Go Downtown de Neil Young

Calgary: I Feel It All de Feist

Londres: London de The Smiths

Atlanta: Radio Free Europe de R.E.M.

Saint-Louis: Roll Over Beethoven de Chuck Berry

Philadelphie: Motownphilly de Boyz II Men

Cleveland: Uncontrollable Urge de Devo

Detroit: Uptight (Everything's Alright) de Stevie Wonder

Minneapolis: Controversy de Prince

Sydney (Australie): Devil Inside d'INXS

Les concerts montréalais après Funeral

2005

> Du 23 au 25 avril au Corona

> Les 26 et 28 novembre au Centre Bell (en première partie de U2)

2007

> Le 20 janvier à l'église Saint-Michel-Archange

> Du 6 au 10 février à la Fédération ukrainienne

> Les 12 et 13 mai à l'aréna Maurice-Richard

2010

> Le 9 juin au stationnement de la Place Longueuil

> Le 31 juillet au festival Osheaga

2011

> Le 21 septembre au Métropolis

> Le 22 septembre à la place des Festivals

2012

> Le 1er octobre au Métropolis (participation au concert collectif à la mémoire du technicien Denis Blanchette, tué lors de l'attentat contre Pauline Marois)

> Le 1er décembre au Breakglass Studio (mini-concert secret)

2013

> Les 4, 9 et 10 septembre à la Salsathèque

> Le 23 février au Centre PHI (mini-concert Kanaval Kanpe en appui à Haïti)