Il y a cinq ou six ans, trois post-pubères anglais se mettaient à jouer des instruments de musique. Il y a quatre ans, ils formaient The XX. Il y a trois ans, leur premier album était lancé. Il y a deux ans, le trio était propulsé dans les grandes ligues après avoir remporté le prestigieux Mercury Prize. Il y a un peu plus d'un mois, The XX a rempli le Métropolis. Dans trois jours, son deuxième album sera lancé: Coexist.

Côté crédibilité, difficile d'imaginer envolée plus rapide, départ plus béton. The XX a néanmoins reçu des critiques plutôt tièdes pour ses performances sur scène. Or, ce ne fut pas le cas en juillet dernier à Montréal: approche plus succincte, jeu amélioré, assurance devant public, émotion, théâtralité... et peu d'éclairages dirigés vers ces musiciens qui semblent plus à l'aise dans un relatif anonymat.

Au lendemain du concert, Jamie XX et ses collègues (Romy Madley Croft et Oliver Sim) accordaient des interviews dans un hôtel chic du Vieux-Montréal. Vus de près, ces jeunes gens n'ont rien, vraiment rien de glamour. On les croiserait dans le couloir d'un cégep ou d'une université, on ne tournerait pas la tête.

Jamie Smith (Jamie XX pour les intimes) serre mollement la main au journaliste, s'assoit, se prête à l'interview et mâchouille des réponses timides, pourtant précises.

À la question de l'acuité instrumentale, voici ce qu'il résume. «Nous n'étions pas destinés à une carrière de musiciens, nous avons dû apprendre sur le tas. C'était d'abord l'urgence de l'expression, il n'y avait aucun plan de carrière. Nous avons mis du temps à grandir, ce fut particulièrement long avant que nous nous sentions à l'aise sur scène. Or, les concerts sont venus rapidement avant que nous puissions réaliser des enregistrements de calibre.

«Aujourd'hui, je suis très heureux d'offrir des spectacles avec mes collègues, nous y prenons tous plaisir. Qu'on ne s'y méprenne pas, nous ne nous sommes jamais ennuyés au cours de notre progression. Nous étions plutôt effrayés par la perspective d'assurer sur scène. Avec le temps, nous avons construit des personnages différents de ce que nous sommes dans la vie de tous les jours.»

Si l'on ne prête attention qu'aux mélodies vocales, aux guitares et claviers très simplement joués de The XX, on peut garder l'impression d'un ancrage dans la brit pop alternative des années 80. Un peu plus d'attention mène à observer la dimension électronique et l'actualité de la facture générale. Malgré ces évocations de The Cure, Cocteau Twins et autre Echo&The Bunnymen, on est même tenté de confiner The XX à la catégorie des phénomènes générationnels.

Qu'en pense Jamie XX? «Nos parents sont des fans de musique et nous en ont fait découvrir beaucoup, notamment celle de leur génération qui comprend la période des années 80 - The Cure, etc. Ainsi, nous ne sommes pas allergiques aux liens que les observateurs établissent entre notre musique et celles issues d'époques antérieures. Par exemple, on nous a dit souvent que nos chansons rappelaient celles d'artistes associés au label 4AD dans les années 80. Or, nous avons découvert cette culture assez récemment! En fait, je ne crois pas que nous fassions partie de quelque mouvement.»

The XX mobilise surtout (du moins en spectacle) la tranche des 18-25 ans à laquelle se greffent quelques contingents plus âgés. Notre interviewé en convient. «Oui, on peut dire que notre musique est générationnelle bien qu'on observe des fans de tous âges à nos concerts. Cela dit, nous avons choisi de faire croître l'intensité de nos concerts à la manière des DJ. Nous avons écouté beaucoup de musique de danse et de musique électronique, cela a aussi modelé notre approche.»

En tant que DJ, Jamie XX s'est déjà produit au Piknic Electronik en 2011. On sait également qu'il a brillamment remixé l'excellent album de feu Gil Scott Heron - renommé We're New Here. D'où ce vernis électronique aussi remarquable chez The XX.

«Ce qu'on reconnaît d'abord dans la musique de notre groupe, fait-il observer, ce sont ces sons que nous avons peaufinés. Notre intérêt pour la musique électronique n'est pas étranger à cette particularité encore plus évidente dans notre deuxième album. Peut-être cela pourrait-il devenir une limite à notre évolution d'instrumentistes, mais si ces sons représentent notre identité musicale, nous préférons rester limités.»

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L'art du dépouillement

Sur le premier album éponyme du trio autant que sur les productions solo du batteur, remixeur et compositeur Jamie XX, exaltait le dépouillement. Mais jamais autant que sur Coexist, qui élève pratiquement cette notion au rang de dogme. Les onze nouvelles compositions ne tiennent ici qu'à un fil, à l'image du premier extrait, la superbe ballade Angels: la guitare pleine d'écho, la voix passive de Romy Madley Croft, de simples éléments de batterie, quelques délicates ponctions de basses. La suivante Chained rappelle les structures house/garage qui soutenaient la pop de salon du premier album. Sunset et Swept Aways constituent les rares moments où The XX renoue avec le rythme sur cet album dénudé à l'extrême. Une pop presque impressionniste qui exige de l'auditeur qu'il remplisse lui-même le vide laissé entre les voix de Madley Croft et Oliver Sim, entre les motifs de guitare et les couches de basses fréquences. Cette «simplicité volontaire» déroute aux premières écoutes, mais révèle finalement la grande finesse des compositions du trio. Un disque à apprivoiser et, surtout, à écouter une fois la nuit tombée.

- Philippe Renaud, collaboration spéciale